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Ainsi on a déclaré la guerre le 1er octobre ; on s’est précipité pour surprendre Napoléon. On a tout sacrifié à cette pensée, et dès le 4 on reconnaît qu’il n’est plus possible de la réaliser. Le 5, Gentz rejoint le quartier-général à Erfurt ; il évalue à 2,000 le nombre des personnes qui y sont attachées. Le même jour, il a une longue entrevue avec Haugwitz, qui lui explique toute sa conduite : il a tout prévu, il n’a commis aucune faute, il n’a rien à rétracter. Il est d’accord avec la Russie ; des pourparlers sont engagés avec Londres. S’il a paru pactiser avec Napoléon, c’était pour sauver les apparences et gagner du temps. Il n’a jamais été sa dupe. « S’il a jamais existé une puissance que nous ayons eu l’intention de tromper, c’était la France ; la nécessité nous en avait fait la loi ; nous avons constamment voulu le bien de toutes les autres. » Gentz demande s’il peut s’exprimer en toute franchise ; Haugwitz l’y engage, et Gentz ne s’en fait pas faute. Ce qu’il a vu depuis un an, dit-il, l’a affligé et dégoûté au plus fort ; le traité d’alliance avec « l’ennemi commun » répugne à tous ses principes, et quant à l’occupation du Hanovre, ce peut être un stratagème fort ingénieux, mais il ne se réconciliera jamais avec des habiletés de ce genre. — N’y aurait-il pas moyen, reprend Haugwitz, en s’expliquant avec le public, de déraciner le malheureux soupçon de mauvaise foi qui pèse sur le cabinet de Berlin ? Gentz répond : — « L’Allemagne souffre ; la tyrannie qui l’oppresse est devenue insupportable ; l’usurpateur cruel qui l’exerce est exécré partout… Laissez là le passé, montrez le présent sous une forme qui ne laisse aucun doute sur la justice de votre cause, sur la fermeté de vos résolutions, éloignez absolument toute idée d’intérêt personnel ; et l’ose répondre non-seulement de l’opinion, mais encore de la faveur et de la confiance générales. » Ce langage paraît mettre Haugwitz plus à l’aise. « Nous aurons des alliés, dit-il[1]. L’empereur de Russie s’est déjà prononcé d’une manière qui nous autorise à tout espérer de lui. Les Français n’ont jamais soupçonné nos véritables rapports avec ce souverain. » Quant à l’Autriche, Haugwitz est plein de confiance dans ses dispositions amicales. On s’occupe depuis quinze jours d’y envoyer quelque militaire de distinction. On a hésité jusque-là pour ne pas compromettre l’empereur, et aussi « parce que la guerre n’était pas déclarée, et le plan de campagne pas assez fixe. » Puis

  1. A Metz en 1870, « un des conseillers les plus intimes de l’empereur avait dit : « Nous entamons une grande partie, et il est à craindre que nous n’ayons des revers au début ; mais l’issue de la lutte n’est pas douteuse, elle se terminera par notre triomphe, grâce aux alliances qui viendront nous appuyer. » — Metz, p. 24.