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sur Gisors, apprenant en même temps que ses autres colonnes avaient complètement échoué, ayant à craindre un retour offensif de l’ennemi aussitôt que celui-ci se serait reconnu, Briand s’était hâté de battre en retraite sans plus attendre, et les Prussiens, revenant furieux de Gisors sur Étrépagny, livraient le village aux flammes et au pillage. Vingt-quatre heures étaient à peine écoulées que les flammes de l’incendie rougissant l’horizon annonçaient aux populations la vengeance allemande !

Qu’on remarque bien ceci : l’échauffourée d’Etrépagny est du 30 novembre, la veille Manteuffel était entré à Amiens, et après avoir réduit la petite armée du nord à l’impuissance au moins pour quelques jours, il restait libre. C’était un événement des plus menaçans pour la Normandie et Rouen, qu’on pouvait jusqu’à un certain point essayer de protéger sur la ligne de l’Andelle contre l’invasion venant par la vallée de la Seine, mais qui étaient absolument découverts contre l’invasion venant d’Amiens. De ce côté, la défense eût été au pays de Bray, où l’on était peu préparé. Ce même jour du 30 novembre, il est vrai, Paris tentait son grand effort, et l’armée de la Loire se disposait à l’action ; mais que savait-on encore ? Le général Briand, chargé avant tout de couvrir Rouen, ne laissait pas de sentir le péril, ayant à tenir tête à un ennemi qui pouvait marcher sur lui de deux côtés, et même de trois côtés en comptant les forces allemandes lancées sur la rive gauche de la Seine. Il n’était pas sans souci en revenant de son aventure d’Etrépagny, quand tout à coup, le 1er décembre au soir, il recevait de Tours, avec la nouvelle de la sortie du général Ducrot sur la Marne, un ordre fait pour ajouter à son trouble. « Ramassez tout ce que vous pourrez, lui disait-on, et marchez vigoureusement sur Paris. » Ce qu’il y a de mieux, c’est que, pour faciliter les choses, une indiscrétion coupable ou frivole livrait cet ordre au public ; c’était dire tout haut aux Prussiens de Manteuffel qu’ils pouvaient s’avancer, qu’ils trouveraient la route libre puisque les forces françaises allaient remonter la Seine. Le général Briand, de plus en plus ému, se hâtait de faire connaître au gouvernement la gravité de la situation, le danger d’une marche de l’ennemi. Le préfet de la Seine-Inférieure, préoccupé de la sûreté de Rouen, mise en péril, intervenait de son côté. On répondait de Tours qu’il n’y avait point à s’inquiéter, que Manteuffel était rappelé en toute hâte sous Paris, que les Prussiens étaient assez occupés pour n’avoir pas le temps d’aller « se promener en Normandie. »

On vivait à Tours dans une telle atmosphère d’illusions ou de surexcitations, on était si bien renseigné, on traitait si étrangement les affaires les plus sérieuses, que M. Gambetta, déjà triomphant, disait dans ses dépêches à tous les préfets de France : « Grande