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consterné de la situation qui lui était faites du sort qui attendait la ville et ne sachant plus à quel parti s’arrêter. Autour de lui les passions populaires commençaient à faire explosion. On vociférait au dehors contre le général Briand, contre le conseil municipal, qu’on accusait de trahison, d’intelligence secrète avec l’ennemi. Les agitateurs de toute sorte, jusque-là contenus à Rouen, ne laissaient pas échapper cette occasion d’exploiter une grande émotion publique. Ils pillaient des armes, non pas bien entendu pour aller à la rencontre de l’ennemi, mais pour assaillir l’hôtel de ville à coups de fusil, Les balles criblaient les croisées du palais municipal, de la salle même où siégeait le conseil. Les conseillers ne pouvaient sortir sans être outragés et violentés ; ils étaient prisonniers ; toujours menacés d’un assaut. Ces scènes étranges duraient depuis assez longtemps déjà, lorsqu’à deux heures de l’après-midi on apprenait que l’ennemi était aux portes de la ville, attendant les autorités municipales. Le maire refusait de se rendre à cette sorte d’injonction, et peu après un officier prussien, le major Sachs, escorté d’un piquet d’infanterie, entrait en pleine salle du conseil, déclarant qu’il prenait possession de la ville au nom de son général. — « Vous êtes ici par la force, répondit le maire ; les troupes françaises nous ont quittés ; ce matin, nous sommes contraints de subir vos ordres. » Le major Sachs demandait que la ville garantît la sécurité des troupes allemandes, on lui montra les marques de la fusillade un peu partout, ce qui pouvait lui faire entendre que les Allemands n’avaient qu’à se garantir eux-mêmes. Alors l’officier prussien, voyant les traces des balles, ne put s’empêcher de s’écrier. : « Ah ! vous avez à la fois, la révolution et l’occupation étrangère, c’est trop ! » C’était trop en effet. A dater de cette heure, la capitale de la Normandie était aux Prussiens pour plus de quatre mois.

Ainsi Amiens avait capitulé le 29 novembre, Paris avait échoué dans sa dernière sortie du 2 décembre, Rouen tombait le 5, Orléans voyait le même jour recommencer l’occupation étrangère. C’est le triste et dramatique commentaire de cette dépêche partie de Tours le soir du 1er décembre et disant à tous les préfets : « La victoire nous revient ;… elle nous favorise sur tous les points ! »


III

Tout n’était pas fini cependant, j’en conviens, même après ces coups multipliés de la mauvaise fortune, et au moment où contrairement aux calculs du gouvernement de Tours l’invasion trouvait le temps d’aller « se promener en Normandie, » la lutte continuait aux bords de la Loire sous Chanzy ; elle allait se rallumer à un autre côté dans cette région du nord dont Manteuffel venait de se