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et charmant, pour lequel la vue n’est point de nécessité première. L’institution deviendrait alors une sorte de conservatoire réservé à une classe particulière d’individus choisis avec discernement ; les autres, que leur médiocrité intellectuelle réduit à l’état d’ouvriers inférieurs, recevraient en province l’apprentissage dont ils ont besoin.

On a dit, dans cet esprit d’opposition quand même que nos administrations ont toujours eu le triste privilège de susciter, que l’institution des jeunes aveugles ne réussissait guère qu’à produire des mendians joueurs de clarinette et d’accordéon. Qu’il soit sorti quelque mauvais drôle de l’institution, cela n’a rien d’extraordinaire ; nos collèges, nos écoles en produisent, et il ne suffit pas d’être infirme pour devenir impeccable. Je n’ai pas à raconter ici quelle puérile compétition se cache derrière ces assertions, trop intéressées pour être sincères, mais je puis dire ce que sont devenus depuis vingt-cinq ans les élèves qui ont traversé l’établissement ; c’est là une pièce qui suffit à juger le procès. Du 1er janvier 1848 au 31 décembre 1872, 514 garçons ont été admis à l’institution ; 39 sont décédés, 21 ont été retirés par leurs parens avant l’achèvement de leurs études, 16 ont été rendus à leur famille parce que leur état sanitaire ou mental ne leur permettait pas de profiter de l’enseignement ; 6 sont sortis après avoir été mis à même de se servir de leur vue améliorée ; 50, presque idiots, ont été exclus parce qu’ils étaient absolument inhabiles aux travaux dont les aveugles sont capables ; 41 ont été renvoyés pour fautes graves, par suite d’une décision ministérielle. Si à ce total de 173 on ajoute les 143 élèves actuellement présens à l’institution, on obtiendra un chiffre de 316 ; il reste donc à savoir ce que sont devenus les 198 enfans qui ont terminé leurs études : 6 ont été nommés aspirans-professeurs à l’institution même ; 2 y sont pourvus d’un emploi ; 53 sont capables d’exercer la double fonction de professeur organiste et d’accordeur de pianos ; 34 sont organistes maîtres de chapelle, 45 sont accordeurs de pianos ; 20 sont employés dans une fabrique de filets ; 26 gagnent leur vie comme empailleurs et canneurs de chaises, 4 sont tourneurs et 4 brossiers ; enfin 4, sortis sans profession déterminée, ont trouvé dans leur famille une aisance qui ressemble à de la fortune. Sur ce nombre de 198, 3 seulement n’ont pas répondu aux espérances qu’ils avaient fait concevoir, et évitent avec soin tout ce qui pourrait les rappeler au souvenir de leurs anciens maîtres ; il est fort possible que ceux-là deviennent des mendians ou obtiennent leur entrée aux Quinze-Vingts, s’ils sont sans ressources personnelles. Cette moyenne est incontestablement inférieure à celle des élèves qui « tournent mal » à l’issue du collège.