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appréhensions, les formidables armemens des Turcs ont été sans effet, et, malgré leur misère, la confiance va renaître parmi les insurgés. La troisième année de la révolution grecque est près d’être accomplie ; les efforts combinés des flottes et des corps ottomans n’ont abouti à rien. Livrés à eux-mêmes, les Turcs ne sauraient soumettre les Grecs que par la transplantation et à la suite de cruautés inévitables. Ce gouvernement ne peut agir que par des ressorts. analogues à sa nature. Lui conseiller l’humanité, la clémence, l’ordre, l’exiger jusqu’à un certain point, c’est lui ôter tous ses moyens d’action. D’un autre côté, les Grecs, divisés aussitôt que l’événement leur sourit, ne peuvent guère aller au-delà de ce qu’ils ont fait. Ils ne renverseront pas l’empire ottoman ; il faut donc qu’ils vivent à ses côtés. » Détacher un rameau pour sauver le tronc, mettre surtout et le plus promptement possible un terme à cette horrible guerre, telle aurait dû être la pensée de tous les hommes d’état de l’Europe. Malheureusement les souverains entretenaient alors d’autres projets ; ils venaient de se déclarer résolus « à repousser partout le principe de la révolte, sans examiner de quelle manière, ni dans quel pays ce principe se montrerait. »

Le 1er avril 1823, on avait appris à Smyrne qu’une rupture était imminente avec l’Espagne, — le 26 mai, que nos troupes étaient au cœur de la péninsule ; le 4 novembre, on était informé de la reddition de Cadix. Le prince Mavrocordato et quelques autres personnages influens s’étaient depuis longtemps efforcés, dans les entretiens confidentiels qu’ils avaient eus avec le chevalier de Rigny, d’effacer l’impression qui pouvait rendre les rois de l’Europe défavorables à la cause de la Grèce. « Il ne faudrait pas croire, écrivait M. de Rigny le 5 décembre 1823, que les Grecs n’aient pas été frappés du coup qui a abattu les cortès. Leurs chefs étaient très attentifs aux conditions qui seraient accordées aux révolutionnaires de la péninsule. Ils nous interrogeaient à ce sujet avec anxiété, et lorsque nous leur avons répondu : aucune ! leur surprise a paru accompagnée de quelques regrets. »

Ce fut dans cette situation que le capitaine de Rigny laissa le peuple qu’il devait plus tard contribuer si puissamment à délivrer. Il le laissa en proie à ses discordes intestines, en butte à tous les soupçons, à toute la malveillance que l’anarchie ne manque jamais d’inspirer. Dès le mois d’août, il avait annoncé au ministre de la marine que « les constantes douleurs dont il était atteint et les fièvres tierces qui venaient de le surprendre le contraindraient probablement à demander son rappel. » Il résista pendant tout l’hiver, s’opiniâtrant à ne pas quitter le théâtre où il se sentait lui-même si utile et où le gouvernement du roi ne pouvait se décider à le remplacer. Enfin le 28 mars 1824, le vice-amiral commandant de la marine à