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s’attacher qu’à poursuivre la frégate sur laquelle il avait l’année précédente vu flotter le pavillon du capitan-pacha. Il atteignit ce magnifique navire dans sa fuite près de la côte d’Asie et réussit à le faire sauter ; mais Khosrew montait alors un vaisseau, la méprise de Canaris le sauva. De leur côté, des brûlots hydriotes parvenaient à incendier un brick tunisien et une corvette de Tripoli. Remettant à des temps meilleurs l’attaque qu’il avait projetée conte Samos, le capitan-pacha se laissa emporter par le vent du nord jusqu’à la rade de Boudroun, où il espérait bien trouver un important renfort.

La flotte égyptienne était en effet partie d’Alexandrie le 19 juillet 1824, elle ne devait pas tarder à gagner le point de rendez-vous qui lui avait été assigné par le capitan-pacha. Vingt-cinq navires de guerre escortaient 8,000 hommes et un millier de chevaux embarqués sur une centaine de transports. Le vice-roi avait mis à la tête de cette armée, qu’il destinait à envahir la Morée, son fils adoptif, celui en qui l’Europe était habituée à voir l’héritier présomptif et l’aîné des enfans de Méhémet-Ali, le, célèbre Ibrahim-Pacha. Le héros égyptien, dont l’Arabie répétait encore le nom avec effroi, avait, comme beaucoup d’hommes de guerre, une physionomie des plus ternes et des plus communes ; il fallait l’émotion du combat pour animer ces traits empâtés et placides, il fallait l’aiguillon du danger pour faire jaillir de ces yeux gris l’éclair d’une résolution intrépide. Court et trapu, Ibrahim, malgré un embonpoint assez prononcé déjà présentait cependant tout l’aspect de la force. Soldat frugal, il couchait en campagne sur la dure et se contentait de la ration qu’il faisait distribuer à ses troupes. Son impétuosité pouvait égaler au besoin son sang-froid. C’est de ce métal qu’ont été faits en tout temps les Condés, capitaines d’instinct qui devinent le métier de la guerre, et pour leur coup d’essai le pratiquent avec un incomparable éclat. En voyant partir Ibrahim, les consuls européens avaient cru la Morée irrévocablement perdue. « La Grèce sera turque, disaient-ils, avant six mois. » Pour conquérir le pachalik qui devait être le prix de sa valeur, Ibrahim ne demandait aux dieux qu’un vent qui l’y pût conduire ; mais en été le vent n’est jamais favorable aux navires qui partent de l’Égypte pour s’avancer vers le nord. Dans cette saison et dans ces parages, la brise a la constance qui distingue les moussons périodiques des mers de l’Inde. Pour s’élever au large de la côte d’Afrique, Ibrahim fut obligé de partager sa flotte en petites divisions qu’il laissa louvoyer avec la plus entière liberté de manœuvre. L’espace de mer qui s’étend entre l’Égypte, l’île de Chypre et la Crète fut pendant les derniers jours du mois de juillet couvert de navires. Le 2 août, Ibrahim mouillait enfin dans le golfe de Macri ; le 1er septembre, il opérait sa jonction avec le capitan-pacha. Les deux flottes