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tard, ils l’envoient plaider à leur place. Les cliens, les avoués, les juges s’accoutument ainsi à la figure et à la parole du débutant ; les occasions ne lui manquent pas de montrer ce qu’il vaut ou ce qu’il pourra valoir un jour ; s’il manque aux occasions, c’est à lui-même qu’il doit s’en prendre.

De quelque manière que lui soient venus les cliens, Démosthène commença donc de bonne heure à faire le métier de logographe ou de fabricant de plaidoyers[1]. Il l’exerça, ce semble, avec succès et profit pendant une quinzaine d’années au moins, jusqu’au moment où il fut conduit, par les circonstances et par son génie, à passer du rôle de chef de l’opposition à celui de premier ministre du peuple athénien. Les affaires publiques durent alors, le plus souvent, l’absorber presque tout entier ; en intervenant à tout propos dans les procès privés, il aurait d’ailleurs risqué de compromettre pour un mince profit sa haute situation politique. Nous ne croyons pourtant point que, même à cette époque, Démosthène homme d’état se soit absolument interdit de composer des plaidoyers pour autrui[2]. Quand la prise de Thèbes par Alexandre et ses victoires d’Issus et d’Arbelles, en réduisant Athènes à l’impuissance, eurent fait des loisirs à ses politiques, Démosthène paraît être revenu au métier de sa jeunesse[3] ; il y pouvait trouver à la fois des ressources pécuniaires qui lui serviraient à soutenir son train, et une occupation qui l’aidait à passer le temps et à se consoler d’un grand rôle perdu. C’est ainsi qu’en France, depuis le commencement du siècle, on voit, le lendemain de chacune de nos révolutions, revenir au barreau les avocats qui sous le régime précédent ont été députés ou ministres. Du pouvoir ou de la tribune, les événemens les ont rejetés dans la vie privée ; ce n’est cependant point en vaincus qu’ils reparaissent sur le théâtre de leurs premiers succès. De toute manière, malgré la catastrophe dont ils ont été les victimes et parfois les auteurs, leur réputation n’a pu que gagner à l’éclat de ces luttes auxquelles ils ont été mêlés ; leur prestige s’en est accru, et, pour peu qu’ils soient appliqués et laborieux, ils voient bientôt les avoués et les cliens reprendre en foule le chemin de leur cabinet.

Dans le recueil des ouvrages qui nous sont arrivés sous le nom

  1. Pour plus de détails sur la situation et l’art de l’avocat athénien ou du logographe, voyez les études consacrées à Antiphon et à Lysias dans la Revue du 1er février et du 15 août 1871.
  2. Le discours contre Bœotos sur le nom est de 350 ou de 349, l’Exception contre Pantœnetos de 316 ou 345.
  3. La chose serait certaine, s’il était prouvé que Démosthène est bien l’auteur des discours composés pour des affaires de prêts maritimes qui ont pour titre contre Zénothémis, contre Phormion, contre Lacrite et contre Dionysodore ; mais il y a de bonnes raisons pour douter que deux au moins de des discours soient de Démosthène.