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main à la réforme du XVIe siècle, tout ce groupe de faits bizarres aiguillonne au plus haut degré la curiosité. Il y a là comme un paradoxe historique, comme un cas de tératologie nationale. N’oublions pas que la guerre albigeoise fut non la cause, mais le moyen de la fusion du nord et du midi de la France. Cette fusion fut d’abord, il est vrai, l’écrasement brutal de l’une des deux régions par l’autre ; mais toutes deux étaient, trop visiblement destinées à se compléter et à s’unir pour qu’à la longue les principes de cohésion et d’harmonie ne reprissent pas le dessus. Nos historiens ont raconté en détail la grande croisade dirigée par Simon de Montfort au temps d’Innocent III et de Philippe-Auguste. On se rappelle les fines et savantes recherches de M. Fauriel, qui se préoccupa de cette lugubre période au point de vue surtout de l’histoire de la littérature et de la civilisation méridionales[1]. Toutefois il faut reconnaître que, peu familiers avec les questions théologiques, nos historiens n’ont encore su nous donner qu’une idée assez vague du catharisme, c’est-à-dire de la doctrine dite albigeoise, et, quand le résultat politique de l’expédition n’est plus douteux, quand il est certain que désormais l’Aquitaine, le comté de Toulouse et la Provence sont ou seront incorporés au royaume de France, ils ne nous disent plus rien ou presque rien de ces mystérieux sectaires qui furent si longtemps l’âme de la résistance ; ils se bornent à nous apprendre que l’inquisition les acheva.

Il existe pourtant un ouvrage que l’on peut considérer comme classique pour tout ce qui concerne les croyances albigeoises, c’est l’Histoire et doctrine de la secte des Cathares de M. C. Schmidt, professeur de théologie à Strasbourg. Quant à l’extinction finale de l’église albigeoise, nous possédons depuis 1872 l’œuvre en trois volumes de M. N. Peyrat, originaire du pays même où elle jeta ses plus profondes racines et descendant de ses martyrs. Quelques erreurs de point de vue, de graves défauts de composition et de style, ne sauraient ôter à cet ouvrage le mérite de nous instruire sur les derniers tressaillemens du catharisme agonisant. C’est à l’aide principalement de ces deux livres et de données éparses dans plusieurs travaux allemands que nous venons proposer une appréciation raisonnée de cette pauvre secte noyée dans le sang de ses enfans, et dont l’extirpation radicale, impitoyablement poursuivie, a droit à autre chose qu’à un enregistrement banal dans les tables chronologiques de l’histoire de France.

  1. Voyez la Revue du 18 novembre 1832, et aussi Croisade contre les Albigeois, Paris 1838.