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Berlin que l’empereur cherche décidément ailleurs que sur le Rhin l’extension nécessaire à la France depuis les événemens dont l’Allemagne vient d’être le théâtre, nous vaudra du moins une certitude relative que le gouvernement prussien ne mettra pas d’obstacle à notre agrandissement dans le nord. »


III

C’est avec la mission de négocier un acte secret, engageant les deux parties dans le sens indiqué par la note qu’on vient de lire, que M. Benedetti quitta Paris vers le milieu du mois d’août. L’acte devait stipuler une alliance offensive et défensive entre les deux états, et, en échange de la reconnaissance des faits, accomplis déjà ou encore à accomplir en Allemagne, assurer à l’empereur Napoléon III le concours diplomatique de la Prusse pour l’acquisition du Luxembourg et son concours armé pour le moment où la France jugerait opportun de s’annexer la Belgique. Aussitôt rendu à son poste, l’ambassadeur français se mit résolument à l’œuvre ; il mena la négociation à l’insu de son chef immédiat et n’en référa qu’à l’empereur et au ministre d’état[1]. Il pria le président du conseil de Prusse de

  1. « A mon départ de Paris, vers le milieu de ce mois d’août, — dit M. Benedetti dans son livre : Ma Mission en Prusse, p. 194, — M. Drouyn de Lhuys avait offert sa démission, et j’avais lieu de supposer que sa succession serait donnée à M. de Moustier, qui occupait alors l’ambassade de Constantinople. Il n’y avait donc pas, à ce moment, de ministre des affaires étrangères. Dans cet état de choses, je jugeai convenable d’adresser au ministre d’état, M. Rouher, la lettre dans laquelle je rendais compte de mon entretien avec M. de Bismarck, et qui accompagnait le projet de traité relatif à la Belgique… » M. Drouyn de Lhuys n’avait point donné sa démission vers le milieu du mois d’août ; à tort ou à raison, il croyait à cette époque « faire acte d’honnêteté et de désintéressement en restant, » et son portefeuille ne lui fut retiré que le 1er septembre 1866. Jusqu’à cette date, M. Drouyn de Lhuys n’avait cessé de diriger le département ; l’ambassadeur cite lui-même dans son livre plusieurs dépêches échangées avec lui sur des questions graves, encore à la date du 21 et du 25 août (p. 204 et 223), et M. Benedetti se fait de singulières idées sur les devoirs hiérarchiques en croyant qu’il est convenable pour un agent de se soustraire au contrôle de son chef immédiat en prévision de sa retraite prochaine. La suite du passage cité dans le livre de M. Benedetti n’est pas moins curieuse : « M. Rouher, dit-il, n’a pas déposé au ministère, n’en ayant jamais pris la direction, la correspondance que j’ai, pendant quelques jours, échangée avec lui. Si je la donnais ici, je ne saurais renvoyer le lecteur, pour qu’il pût en vérifiée le texte, au dépôt des archives, comme je suis fondé à le faire pour tous les documens que je place sous ses yeux. » Qu’à cela ne tienne ! une fois décidé à faire des révélations, M. Benedetti eût bien pu produire cette correspondance avec M. Rouher sur un sujet tellement débattu : tout on prévenant consciencieusement le lecteur qu’il n’en trouverait pas les originaux au dépôt des archives. (On sait que ces originaux ont été saisis par les Prussiens, avec un grand nombre d’autres documens importans, dans le château de M. Rouher, à Cerçay.) — En train, pour notre part, d’introduire « un peu plus de lumière » dans toutes ces obscurités, nullement naturelles, observons aussi que c’est à tort, mais dans un dessein facile à deviner, que la célèbre circulaire de M. de Bismarck du 29 juillet 1870 (au début de la guerre) avait assigné à ce projet de traité secret sur la Belgique une date bien postérieure, l’année 1867, l’époque après le règlement de l’affaire du Luxembourg. Cette allégation ne résiste pas à un premier examen et à un simple rapprochement des pièces livrées au public. La ténébreuse négociation au sujet de la Belgique eut lieu dans la seconde moitié du mois d’août 1866, ainsi que le dit M. Benedetti.