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tion dont nous avions été témoins le 1er août 1872 à la suite d’une trombe qui s’était abattue sur les montagnes voisines. Le gave, devenu torrent, avait emporté la passerelle du village et inondé les caves et les cuisines de deux hôtels situés sur ses rives. On passa en revue toutes les grandes inondations dont les Pyrénées avaient été le point de départ depuis le commencement du siècle, et auxquelles plusieurs de nous avaient assisté. Nous nous séparâmes en concluant que, si la pluie persistait et si le vent tournait au midi, la fonte des neiges qui résulterait de cette double influence amènerait infailliblement le débordement des gaves des environs et quelques éboulis de roches ; mais notre perspective ne sortait pas de l’horizon de nos montagnes.

La pluie ne cessa de tomber dans la nuit du 22. Le 23, vers sept heures du matin, un de mes amis, qui logeait dans le même hôtel que moi, vint m’annoncer que la passerelle du village venait d’être emportée, et que le pont des Thermes menaçait de subir le même sort. Comme la chambre que j’occupais avait sa façade sur l’allée des Thermes, il s’approcha de la fenêtre pour suivre les progrès du torrent, qui grossissait toujours. Les pièces de bois de la passerelle, venant butter contre les poutres qui soutenaient le pont des Thermes, faisaient craindre pour celui-ci. L’eau rasait déjà le tablier. À tout instant, on voyait les pâtres, chassés par la neige, descendre de la montagne avec leurs troupeaux, qu’ils poussaient vers le pont malgré le danger qu’offrait un tel passage, car c’était le seul point sur lequel on pût franchir le gave. En même temps nous entendions un sourd roulement qui se répercutait dans toute la vallée comme de lointaines décharges d’artillerie. Je me rappelais avoir entendu ce bruit lors de l’inondation du 1er août 1872. C’étaient les blocs erratiques que les eaux entraînaient des flancs des montagnes dans le lit du torrent, et que celui-ci charriait ensuite le long de ses rives. Notre grande préoccupation était de reconnaître la direction des vents. Ce n’était pas chose facile. Dans ce fouillis de montagnes, il arrive souvent que les nuages poussés par les vents de la Méditerranée, rencontrant les immenses contre-forts du mont Vallier, subissent une sorte de remous et paraissent venir de l’Océan. Bien que par intervalles nous crussions ressentir les chaudes effluves du vent d’autan, les nuages semblaient partir de l’ouest. D’un autre côté, la température, comme il arrive dans ces hautes régions, s’était subitement refroidie par suite de la chute d’une si grande quantité d’eau, si bien que nous avions dû prendre nos habits d’hiver.

Tout cela vint confirmer notre opinion et nous rassurer un peu. D’ailleurs le gave ne grossissait plus depuis qu’il avait atteint le tablier du pont. Il resta quelques heures stationnaire et commença à décroître vers le milieu de la journée. Nos angoisses étaient