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n’eurent pas la sagesse de rester neutres, et bien au contraire favorisèrent par tous les moyens la longue résistance du Paraguay.

Cet antécédent était de mauvais augure pour les relations postérieures des républiques du Rio de la Plata avec celles du Pacifique, et de nature à compliquer encore les difficultés qui devaient inévitablement surgir quand, la guerre du Paraguay terminée, il s’agirait de régler la liquidation de l’alliance entre les états hétérogènes qui l’avaient signée. C’est en effet ce qui s’est produit : aussitôt que le Brésil prenait une attitude menaçante vis-à-vis de la république argentine, le Chili profitait de l’embarras de celle-ci pour mettre en avant une réclamation inopportune de limites. C’est à cette situation spéciale que la question chilienne emprunte quelque gravité ; sans cela, elle n’eût pu occuper que des légistes dans des conférences toutes pacifiques. Le pivot de la politique continentale de l’Amérique du Sud est en effet dans les difficultés qui ont surgi entre l’empire du Brésil et les républiques de la Plata, difficultés sans cesse envenimées par les différences d’origine, de constitution et de langue, et par le souvenir de rivalités séculaires.

On sait quels événemens avaient donné naissance à la guerre du Paraguay et au traité de la triple alliance conclu à Buenos-Ayres le 1er mai 1865 entre le Brésil, la république argentine et la république de l’Uruguay[1]. La folie du dernier dictateur paraguayen forçait le Brésil par une agression violente en pleine paix à envoyer sur le Rio-Paranà une flotte et une armée. A peu près isolé par deux fleuves de premier ordre qui l’enveloppent à l’ouest, au sud et à l’est, le Rio-Paranà et le Rio-Paraguay, borné au nord par des déserts et les marais du Rio-Apa, qui le séparent des provinces brésiliennes, le Paraguay ne pouvait songer sérieusement à retirer quelque avantage territorial d’une guerre avec son voisin- : une politique sage eût dû au contraire prendre à cœur de le renfermer dans des limites naturelles lui permettant de disposer de grands fleuves, si utiles au développement de son commerce, et éloignant de lui tout péril d’absorption. De cette politique dépendaient au surplus l’équilibre sud-américain et la sûreté de tous les états dont le Paraguay occupe le centre ; aussi la république argentine ne pouvait-elle voir sans appréhension commencer sur les fleuves tributaires du Rio de la Plata une guerre dont le résultat, quel que fût le vainqueur, ne pouvait que lui créer des embarras également sérieux. Prendre parti pour Lopez eût été détourner la lutte de son théâtre naturel pour l’amener à Buenos-Ayres : la république argent tine était donc dès l’abord condamnée à une neutralité sans profit,

  1. Voyez la Revue du 15 février 1870.