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Quant au rayon divin qu’il espérait encore, ce rayon ne vint jamais l’éclairer. Ce fut au contraire le soleil de l’imagination qui s’éteignit tout à fait, laissant l’âme qu’avait réchauffée un instant sa chaleur dans un état de sécheresse et de désolation que lui-même a dépeint dans ces lignes écrites quelques années après durant une course à Aigues-Mortes : « Mon âme est semblable à ces plages où l’on dit que saint Louis s’est embarqué ; la mer et la foi se sont depuis longtemps, hélas ! retirées, et c’est tout si parfois, à travers les sables, sous l’aride chaleur ou le froid mistral, je trouve un instant à m’asseoir à l’ombre d’un rare tamarin. »

Ce fut durant cette période incertaine, où il s’abandonnait tout entier aux agitations d’une foi chancelante et d’un amour expirant, que Sainte-Beuve conçut le plan d’une Histoire de Port-Royal. Dans cette lettre du 1er février 1835 que nous avons citée tout à l’heure, il en marque le dessein à l’abbé Barbe. Il revient encore sur son projet dans la lettre du 1er octobre 1836, où il parle de ce christianisme éclectique au-delà duquel la sincérité ne lui permettra jamais d’aller ; mais les circonstances le contraignirent de mettre entre la conception première et la mise à exécution de cette entreprise un intervalle assez long, durant lequel il parvint à se dégager complètement des liens de l’amour et commença aussi à se dégager des liens de la foi. Tout le monde sait que l’origine de cette longue Histoire de Port-Royal, qui tient une si grande place dans l’œuvre littéraire de Sainte-Beuve, fut un cours professé par lui à l’académie de Lausanne pendant l’hiver de 1837 à 1838. Il est bien permis de supposer que ce Parisien déterminé, qui en quatre ans n’avait pas passé plus de trois semaines à la campagne, ne s’était pas résigné à un exil aussi rigoureux sans avoir senti la nécessité de clore par la séparation une période d’agitation trop longtemps prolongée et de se dérober par l’absence aux difficultés d’une situation pénible. Ce n’est pas sur ce point que les contestations sont à craindre de la part des gens bien informés ; mais ce qui paraîtra peut-être une assertion singulière, c’est de dire que les deux premiers volumes de Port-Royal, les seuls qui aient été publiés par lui dans la forme même du cours où il les a professés, marquent la transition et la phase qui a conduit Sainte-Beuve, en quelque sorte pas à pas, d’une disposition religieuse très prononcée à un scepticisme presque absolu. Il y a en effet une sorte de légende littéraire un peu superficielle d’après laquelle Sainte-Beuve n’aurait jamais côtoyé d’aussi près le catholicisme que durant son séjour à Lausanne. À cette phase correspondraient les deux premiers volumes de son cours, qui ont été publiés en 1840, tandis que chacun des suivans marquerait son éloignement progressif. Il y a beaucoup à