Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

escarpemens. J’ai relu hier soir dans Joinville le récit de l’expédition que saint Louis y envoya de Tyr. La vue des lieux prête une singulière éloquence et une parfaite clarté à la narration du vaillant sénéchal. Plus heureux que les gens d’armes du comte d’Eu, nous gagnons sans encombre les murailles du château, où les chacals tiennent seuls garnison, et nous pénétrons dans l’enceinte par la poterne d’une des tours. L’eau croupit encore dans les vastes citernes abandonnées qui alimentaient la place ; les figuiers et les pariétaires s’accrochent aux escaliers disjoints, grimpent sur les plates-formes des tours et regardent curieusement par les créneaux.

Nous nous asseyons sur le pan de mur le plus élevé, où un admirable panorama nous récompense de nos peines. A nos pieds, très profondément, le Nahr-Banias jaillit du rocher ; le fleuve chaste et sacré s’échappe de la grotte dédiée à Pan, où se célébraient les mystères naturalistes du dieu païen, comme en témoignent encore les inscriptions grecques des niches creusées dans le porche. Le torrent, blotti quelque temps sous les roseaux et les sycomores, serpente dans la vallée, qui s’élargit bientôt et forme les marais de l’Ard-el-Huleh. La vaste plaine nue s’étend jusqu’au lac de Huleh, — les eaux de Mérôm de la Bible, — qui la limite à l’horizon. En face de nous, elle se relève au pied d’une chaîne de hautes montagnes qui court vers Saphed : ce sont les monts de Nephtalim, portant Kédès, la ville lévitique. Par-delà le lac et ses collines, voici des vapeurs bleues qui montent de la mer de Génésareth, et ces sommets à peine visibles au dernier plan, ce sont déjà les montagnes de Judée. La terre promise se déroule pour la première fois sous nos yeux dans toute sa majesté.


Saphed, Tibériade, 1er décembre.

Il ne faut pas moins d’une journée pour traverser les maremmes de Huleh et atteindre le lac. En sortant de Banias, on contourne la Colline du Juge, Tell-el-Kadi, petit tertre naturel, mais d’aspect bizarre et artificiel, où s’élève Dan, la vieille Laesch sidonienne. Le fleuve est encaissé dans une coulée basaltique, toute feuillue de platanes et de lauriers-roses encore en fleurs, qui me rappelle vivement les potamî de la Grèce : il n’y a que de l’eau en plus. On le quitte bientôt pour se rapprocher des montagnes, au pied desquelles on marche pendant plusieurs heures, laissant à gauche les marécages de la plaine. Une erreur de route serait fatale ici ; on disparaîtrait vite dans la tourbe humide. L’aspect tout nouveau, le caractère de grandeur primitive du paysage, nous reportent aux âges bibliques. On songe involontairement aux scènes patriarcales des premiers jours du monde. Parmi d’immenses champs