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et dans ses créations, dans les crimes qu’elle a inspirés, dans les extases qu’elle a données, dans les exploits qu’elle a fait accomplir. Tout d’abord voici le Jugement de Pâris. Nous ne voyons pas trop quel rapport ce concours de beauté peut avoir avec la musique. Heureusement que nous recourons au petit livret de M. Edmond About, qui s’est fait le mystagogue de cette théogonie. Il nous apprend que cette scène « représente le triomphe de la beauté, but suprême et dernière fin de tous les arts. » Cette explication donnée, nous n’avons plus qu’à admirer cette belle scène, qui n’a peut-être pas cependant autant de calme qu’il en faudrait pour d’aussi augustes personnages. Au premier plan, Vénus, à laquelle Paris vient de donner le prix, se penche vers le jeune berger. Nue, dans la pose pudique de la Vénus de Médicis, la déesse réalise l’idéal de beauté et de charme qu’on s’en fait. Les contours souples et moelleux accusent les formes sans les circonscrire. Assis sur un rocher, Pâris regarde les trois déesses avec une certaine indifférence qui ne lui messied pas. Il sait qu’il est là comme juge et non comme amant, et il prend son parti avec philosophie. Il porte un pantalon vert-bleu très fin de ton ; une peau de brebis marquée de noir lui couvre les épaules ; sa coiffure consiste en un bonnet phrygien vert-pâle. Cet accoutrement archaïque est du meilleur effet. Près de Pâris, Mercure, qui l’a amené, semble approuver son jugement. La Victoire flottant dans le ciel va couronner Vénus. Le premier plan du côté droit est occupé par le groupe des belles vaincues, Minerve et Junon, que l’Amour, l’enfant terrible de l’Olympe, raille de leur défaite. Vue de dos, Pallas encore sans vêtemens, mais le casque en tête, s’apprête à revêtir son péplum. Junon offensée se tourne vers Pâris avec un geste de menace. Les deux figures sont parfaites, sauf le bas de la jambe de la Minerve, lourd et engorgé, et peut-être Pâris s’est-il décidé un peu vite. Ce qu’on peut reprocher à l’œuvre, c’est que les trois déesses se ressemblent trop. On dirait trois sœurs, ou plutôt une seule femme présentée de face, de dos et de profil. Hérésie mythologique qui nous choque : de Junon, de Vénus et de Minerve, c’est Vénus qui prend l’attitude la plus digne et la plus pudique. M. Paul Baudry n’eût-il pas rajeuni et rendu sien ce sujet, dont on a tant abusé, s’il eût peint chaque déesse dans le caractère propre de sa beauté et de ses formes, s’il eût marqué pour jamais son type d’après les traditions de la poésie et de l’art ? Pourquoi n’a-t-il pas voulu accuser plus encore la jeunesse et la séduction de Vénus, peindre la déesse dans l’aurore de sa beauté alors que, dit l’Anthologie grecque, « ses seins se gonflent comme des pommes de coing ? » N’y avait-il pas à représenter Junon au contraire dans sa majestueuse quiétude, dans sa maturité radieuse ? Et pouvait-on oublier que Minerve