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tout cas, cette leçon du hasard fut perdue pour le public : l’honneur de la découverte était réservé à un simple paysan, peut-être à deux, cousins germains et homonymes, les Joseph Talon du hameau des Talons, près de Clavaillant, commune de Roussillon-lès-Apt. La tradition semble pourtant établir la priorité en faveur de Joseph Talon, fils de Pierre, dont le cousin, Joseph Talon, fils d’Antoine, n’aurait été que l’imitateur. Les cultures du premier remonteraient à peu près à l’an X de la république française suivant quelques-uns, à 1810, 1814 ou 1815 suivant d’autres. Pauvre rabassier d’abord, c’est-à-dire simple chercheur de truffes, Talon avait, paraît-il, l’habitude de semer des glands dans les trous des truffières naturelles à mesure qu’il venait de les explorer. Sont-ce les effets de cette pratique qui lui révélèrent la fertilité truffière des chênes ainsi semés ? Est-ce simplement pour multiplier les chances d’avoir des truffes qu’il avait augmenté le nombre des chênes ? Toujours est-il que le succès couronna ces essais demi-consciens, et que l’aisance, la fortune même, furent le prix de cette heureuse inspiration. « C’est de là que je suis venu au monde, » ei daqui que sieou vengu au mounde, disait-il plus tard dans l’harmonieuse langue de la Provence en montrant le petit champ où ses premiers chênes avaient récompensé ses premiers efforts. Aujourd’hui ses descendans directs, notamment son fils Hilarion, sont vraiment riches par la truffe ; ils en apportent en moyenne dans la saison de 15 à 20 kilogrammes par semaine sur le marché d’Apt, et de nombreux hectares de leurs cultures couvrent le sol rocailleux des vignes décimées par le phylloxéra dans la région voisine de Croagne dite le plan de Séoure ou la plaine de Sylla. C’est là qu’une tradition un peu suspecte place le champ de bataille où Sylla aurait défait les Cimbres et les Teutons quelque temps après la grande victoire remportée sur ces barbares par Marius dans la région d’Aix. Quoi qu’il en soit, dit l’abbé Boze dans son Histoire de la ville d’Apt (1813), ce lieu fut témoin de quelque combat, puisque la charrue y déterre des armes antiques, trace probable de la guerre dans un pays où tout rappelle la domination romaine. Autre temps, autres mœurs ! peut-on dire ; au-dessus des souvenirs sanglans de la guerre, l’agriculture étend ses bienfaits, et l’inspiration d’un paysan a créé pour tout un pays la source d’une richesse nouvelle[1].

Cependant le secret de Joseph Talon ne pouvait échapper

  1. Tous les renseignemens que je donne sur l’origine de la culture de la truffe dans le Comtat sont dus à M. le Dr de Ferry de La Bellone, chez qui j’ai eu le bonheur de trouver, pour l’étude des truffières de l’arrondissement d’Apt, non-seulement l’hospitalité la plus gracieuse, mais aussi ce concours actif et intelligent dont l’habitude des méthodes scientifiques fait une véritable collaboration.