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se rejoindre de nouveau, et à se retrouver dans cette parfaite communauté d’idées et de sentimens qui, constatée dès les premiers jours de Francfort, ne s’est point démentie dans la suite et a duré pendant vingt-cinq ans : grande mortalis œvi spatium. Cet ami conquis par le prince Gortchakof sur les bords rians du Mein n’était autre que M. de Bismarck, le futur chancelier d’Allemagne.

Otto-Édouard-Leopold de Bismarck-Schœnhausen, né le 1er avril 1815 à Schœnhausen, terre héréditaire de sa famille dans la Vieille-Marche de Brandebourg, ne peut guère se flatter d’avoir, comme son ami Alexandre Mikhaïlovitch, du sang des saints dans ses veines : ses biographes relèvent même, avec une satisfaction visible, que deux au moins de ses aïeux avaient été excommuniés par l’église et sont morts dans l’impénitence finale. Ce qui est plus grave, c’est que les historiens les plus autorisés de la Marche de Brandebourg, M. de Riedel entre autres, contestent jusqu’à l’origine nobiliaire de la famille : ils démontrent que le premier de la lignée dont parlent les documens authentiques du XIVe siècle, Rulo Bismarck, fut membre et à plusieurs reprises même prévôt de la « guilde des maîtres tailleurs en drap » à Stendal, petite bourgade de la Vieille-Marche. Le fait ne paraît pas douteux ; mais les bourgeois de Stendal n’ont-ils pas pu, tout aussi bien que ceux de certaines villes de Toscane, imposer l’obligation de se faire inscrire dans une des guildes à tout noble de la campagne qui voulait habiter la cité ? C’est là l’opinion des tories dans ce curieux débat généalogique ; à les entendre, les bons bourgeois de Stendal auraient marché de pair au XIVe siècle avec les grands citoyens de Florence et de Pise, et Rulo Bismarck aurait été maître tailleur en drap à peu près comme Dante, son contemporain, fut apothicaire. Les whigs au contraire, les biographes aux couleurs nationales-libérales, en prennent gaîment leur parti, et l’un d’eux conclut ingénieusement qu’en tout état de cause l’ancêtre Rulo doit « contempler du haut des cieux avec satisfaction et orgueil le splendide manteau impérial que son descendant a su tailler au roi Guillaume dans le drap de l’Europe… »

En des temps relativement plus modernes, la maison des Bismarck présente, comme mainte famille de la noblesse campagnarde de Brandebourg, une suite non interrompue de modestes et fidèles serviteurs de l’état, tantôt militaires, tantôt employés dans des fonctions civiles. Le XVIIIe siècle nous en offre deux spécimens un peu plus curieux, le grand-père et le grand-oncle du chancelier, l’un surnommé le poète, l’autre l’aventurier. Le poète, il faut bien faire cet aveu pénible, composait ses vers en langue française ; on a notamment de lui un Éloge ou monument érigé à la mémoire de Christine de Bismarck, née de Schœnfeld, par Charles-Alexandre