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qu’il n’avait pas jugé à propos d’exprimer son bon plaisir à ce sujet. Qu’arriva-t-il ? La lettre parut dans le Morning-Chronicle. On devine quel en fut l’effet d’un bout du royaume à l’autre : en 1806, le scandale n’était pas sorti des hautes sphères de l’état ; en 1813, il était livré sans voiles à l’Angleterre, à l’Europe, au monde entier. L’émotion fut si vive que le prince ne put garder le silence. Sa terrible adversaire avait trouvé le moyen de lui faire exprimer son bon plaisir au sujet des remontrances qu’il dédaignait la veille ; cette lettre le plaçait sur le banc des accusés en face de la nation anglaise. Pourquoi séparait-il la fille de la mère ? Pourquoi alléguait-il des imputations qu’une enquête solennelle avait déclarées calomnieuses ? Pourquoi ne tenait-il aucun compte de ce rapport de 1806 ? Enfin, en supposant qu’il y eût nécessité de soustraire la princesse Charlotte à la tutelle de sa mère, pourquoi une jeune fille de dix-sept ans, héritière présomptive du trône, était-elle séquestrée du monde et comme tenue en chartre privée ? D’où vient qu’on semblait prolonger son enfance ? Quel était le dessein du prince en refusant ou en négligeant de lui faire administrer le sacrement de confirmation ? C’étaient là autant de questions que suggérait à la conscience publique la lettre insérée dans le Morning-Chronicle. Effrayé de ces rumeurs croissantes, le prince-régent voulut se mettre à l’abri sous une décision judiciaire. Le conseil privé est réuni ; il se compose de tous les ministres, des archevêques de Cantorbéry, d’York, de l’évêque de Londres, des principaux juges, en tout vingt-trois conseillers. Le régent leur demande un rapport sur cette question précise : y a-t-il lieu, oui ou non, de continuer à régler et à restreindre comme par le passé les relations de la princesse de Galles avec sa fille la princesse Charlotte ? Vingt et un conseillers sur vingt-trois répondent affirmativement. C’est un verdict de blâme et de défiance prononcé contre la princesse de Galles ; voilà le régent qui triomphe.

La princesse de Galles ne renonce pas à la lutte, elle en appellera du prince au parlement. Elle rédige une protestation qu’elle adresse à la fois au président de la chambre des lords et au président de la chambre des communes. Le président de la chambre des lords, c’est lord Eldon, son défenseur d’autrefois, aujourd’hui l’un des ministres du régent et obligé de ne pas déplaire au maître ; lord Eldon renvoie cette protestation à la princesse, lui recommande de ne pas la rendre publique, et lui intime l’ordre, au nom du prince, de ne plus faire de visites à Warwick-house. Le président de la chambre des communes n’a pas de ménagemens à garder ; il communique la lettre à la chambre dans la séance du 2 mars 1813, et trois jours après une motion est faite par M. Cockrane Johnstone pour que le rapport de 1806, avec les documens annexés, soit mis