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si près d’elle sans la voyr; le devoir de bon parent vous y oblyge; depuis que je suis en ces pays, je n’en ay veu nul et puis dire avec vérité que cela m’a fait beaucoup de tort, car il semble à ces gens icy, veu le peu de cas que mes parents et mes amys ont fait de moy depuis mon affliction, que je soye tombée des nues et cela m’a tellement rendue méprisable parmy eux que vous seriez étonné du peu qu’ils ont fait pour moy, mes frères m’ont manqué et ne se montrent tels qu’ils devroyent en mon endroist, que mon cousin le principal honneur et la gloyre de ma race n’en face de mesme et donnes par votre présence contentement à ceste pauvre cousine que, je vous jure, depuis la perte du bien dont la privation me rendra à jamais mysérable, n’avoir senty son cœur emeu de nule joye que par l’espérance que me donnes de votre vue. »

Rarement, je pense, appel plus éloquent ne fut fait à un parent. La princesse est si désireuse de voir un des siens, qu’elle le grandit, elle rehausse ses proportions, elle lui parle de sa gloire, elle l’aime à la fois et l’admire. Il résume en ce moment la France, le bonheur perdu, toutes ses espérances. Le prince Maurice l’effrayait; les mœurs de ses nouveaux parens hollandais ou allemands n’étaient pas faites pour lui plaire beaucoup. On le comprendra bien, si l’on lit ce passage de Du Maurier : « M. le prince Maurice a conté à mon père qu’un jour d’hiver, à La Haye, y ayant quantité de princes et de grands seigneurs d’Allemagne de sa parenté, un jour, ils s’assemblèrent en la principale auberge de La Haye pour s’y divertir; qu’après avoir fait la débauche jusqu’à ne plus voir goutte, un de la compagnie proposa d’éteindre les lumières et de s’entrebattre toute la nuit à coups d’escabelles. Ce qu’ayant exécuté, l’un de ces souverains se trouva un bras rompu, l’autre une jambe cassée, un autre le crâne enfoncé, et que les moins offensés en furent quitte pour avoir d’horribles contusions et les yeux pochés au beurre noir. Après cela, il fallut se mettre tous au lit et se faire? panser, ce que le prince sut de maître Luc, son chirurgien, qui était Français et bien expert dans sa profession, et qui fut appelé pour les traiter et leur remettre leurs membres disloqués. Sur cela, M. le prince Maurice disait à mon père, en s’éclatant de rire : Après ce beau et agréable divertissement, messieurs mes parens pouvaient se vanter d’avoir merveilleusement passé leur temps. »

Turenne s’embarqua pour la Hollande avec Pallavicini et Buzenval, et là eut de longues conférences avec le prince Maurice et avec les députés des états. Il demanda à contracter pour le roi un emprunt de trente mille écus d’or pour faire la levée des troupes en Allemagne. Les états offrirent des troupes et se firent prier pour l’argent. Turenne renvoya Buzenval en Angleterre pour rendre compte de ce qu’il avait fait à Elisabeth, et s’embarqua pour Hambourg