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Je crains bien que je ne soye pas près de les revoir, cependant vives assuré, je vous suplye, que rien est sous le ciel si religieusement gardé que l’affection et parfayte amitié de votre misérable cousine, laquelle ne finira qu’avec sa vie, je vous bayse légions de fois les mains. »


Quelles tristes langueurs laissent deviner ces effusions d’une âme émue, pour ainsi dire prisonnière, exilée, sans confident ! Les affaires publiques l’occupent, la passionnent, mais ne suffisent pas à la remplir. « Tout bruit de votre belle armée, dit-elle pourtant, et ce dit que commencerés à marcher cette semayne… Ô Dieu, qui me tarde que je voye cette nouvelle certene ! » Elle s’accroche toujours à l’espérance de revoir un moment son cousin. Elle lui donne sans cesse des nouvelles des affaires d’argent, dont le soin avait été laissé à M. de Buzenval. Chaque état avait une part à payer ; elle s’occupe particulièrement de la contribution de la Zélande. Elle lui parle des desseins du duc de Parme, « qui sont encore sy secrets que l’on ne peut asseoir nul jugement de ce qu’il veult fayre ; car une fois y fait des préparatifs pour assiéger une ville et puis tout s’évanouit ; un autre on dit que c’est pour donner en une des îles de Zélande, de quoi souvent je suys en alarme ; à cet instant (29 mai) on a nouvelles icy qu’il est parti de Bruxelles avec quinze cents chevaus et quatre mille hommes de pied et qu’il tient le chemin de Gueldres pour traverser les entreprinses de mon beau-fils. Ceux du conseil dicy viennent aussy de recevoir lettres de Calais par lesquelles on leur mande que le commandeur de La Fère a esté tué d’un coup de hallebarde par le curé de la ville, et que depuis le duc de Meyne a mis la ville entre les mains du duc de Parme, qui y a fait entrer garnison espagnole, de quoi tous les catholiques de ces contrées-là murmurent extrêmement. » Elle se dépite à l’idée que Turenne, à ce qu’on l’assure, ne pourra marcher avant le commencement d’août. « Si j’étais homme, pour certain j’eusse déjà présenté mille combats. » Elle pense toujours à aller à Orange, apprenant que M. de Lesdiguières fait heureusement la guerre dans ce quartier, mais elle ne veut rien décider avant que Turenne ne soit retourné auprès de Henri IV. « Je ne me veux résoudre à chose du monde, ni employer personne pour mon fils ni pour moy jusqu’ici que Dieu vous ait rendu auprès du roy, car je ne veus pas que nous tenions et soyons obligés à autre que de vous (31 mai). »

Turenne avait rencontré toute sorte de difficultés dans sa mission ; le 15 juin 1591, il demandait au comte Jean de Nassau de nouveaux secours pécuniaires pour conduire les troupes allemandes en France. Il le priait d’user de son autorité dans ce but auprès des églises de Cologne, d’Aix, de Francfort, de faire des arrangemens