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sorte le patriotisme de la princesse d’Orange, n’était plus qu’une chimère : l’esprit dur et froid de Maurice se tournait vers les ennemis acharnés de la France ; la princesse d’Orange se sentait désormais une étrangère partout, qu’elle fût à Paris ou qu’elle fût à La Haye. En vain écrivait-elle à sa fille : « Je ne suis point femme d’État, » tout en elle devait souffrir pendant ces honteuses années qui suivirent la mort de Henri IV ; elle n’avait pas seulement perdu un ami, le protecteur de ses enfants, le protecteur de sa foi, elle avait perdu la vision d’une France glorieuse, généreuse, intelligente ; elle vivait sur les ruines d’un temple écroulé.

Ces retours de la fortune sont plus affreux quand ils coïncident avec le déclin de la vie et quand l’ombre du malheur national ne se projette plus que sur d’autres ombres. On est frappé pourtant de ne trouver aucune trace d’amertume dans la correspondance des dernières années de la princesse ; de temps à autre un mot échappe ; « tout ce que j’ouïs, et par paroles et par écrit, ne chante que présage de malheur en ma pauvre patrie ; » mais elle revient vite aux détails familiers, à la bonhomie, à la simplicité. De Bouillon, il est rarement question ; son nom ne revient plus souvent parmi les noms aimés. Les amitiés offensées n’ont d’autre refuge que le silence. L’occasion était belle pourtant pour Bouillon, s’il avait eu les vertus que la princesse d’Orange avait cru trouver autrefois chez lui, s’il avait été aussi grand citoyen que vaillant soldat et habile diplomate. On l’avait vu, après la mort de Henri IV, comme Épernon, Guise, Lorraine, parcourir les rues de Paris avec une suite de 500 gentilshommes armés. Il était animé d’une haine violente contre Sully ; il alla dans le conseil jusqu’à lui montrer le poing, et si la reine n’eût été présente, il se fût emporté jusqu’à frapper le vieux ministre. Maréchal de France, prince souverain de Sedan, il avait cru qu’on lui confierait le commandement de l’expédition projetée par Henri IV. Dès qu’il apprit que la reine ne voulait pas le mettre à la tête de l’armée, il s’était brouillé avec la cour. Au mois de mai 1613, la princesse d’Orange fut heureuse de voir arriver comme ambassadeur à La Haye un ancien serviteur du duc de Bouillon, Aubry du Maurier, fils d’un petit seigneur huguenot, huguenot lui-même, et qui jouissait pourtant de toute la confiance de Villeroy. Du Maurier avait eu à se plaindre de Bouillon, et celui-ci le dénonça à La Haye comme un agent de l’Espagne : Aubry du Maurier était un honnête homme et un bon Français. La princesse d’Orange le traita avec bonté et dirigea ses premiers pas à La Haye. « J’avois besoin, écrivait le bon Du Maurier, comme de la vie qu’elle me prît en sa protection et qu’elle me daignât recommander : ce qu’elle fit avec un tel excès de bons témoignages où il a été besoin, qu’elle a voulu par cette libéralité suppléer à la multitude