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aux plus rudes devoirs de la vie morale et à la volonté de Dieu. Sans doute, jusque dans l’expression de l’amour, la langue que parle Michel-Ange est, — sauf quelques rares concessions à la rhétorique de l’époque, — aussi inflexible, aussi farouche, on dirait presque aussi terrible que le style accoutumé du peintre de la Sixtine ou du sculpteur des Tombeaux des Médicis, et pourtant sous cette indépendance énergique jusqu’à la violence, fière à ce qu’il semble jusqu’aux emportemens de l’orgueil, se révèlent, en même temps que la foi docile d’un cœur chrétien, le désintéressement et la raison d’une intelligence disciplinée par la philosophie.

La vie tout entière de Michel-Ange confirmerait au besoin les impressions que nous laissent l’éloquence souveraine des œuvres qui l’ont remplie et l’élévation des pensées qui en ont occupé la fin. Il suffit de parcourir dans l’exact résumé qu’en a donné M. de Montaiglon les détails de cette vie si foncièrement simple malgré l’éclat dont elle est environnée, si invariablement maîtresse d’elle-même malgré les agitations extérieures ; il suffit de voir ce que fut Michel-Ange dans ses rapports avec sa famille aussi bien qu’avec les papes ou les princes qui l’employaient, pour reconnaître que jamais homme ne sut allier plus de droiture et de dignité dans le caractère à plus de puissance dans l’imagination. Nulle part moins que chez lui le désir de se ménager des protecteurs ou de recruter des partisans ne dégénéra en lâche complaisance, comme jamais non plus, quoi qu’on en ait dit, la confiance de Michel-Ange en lui-même ne l’empêcha de rendre justice aux mérites des efforts tentés avant lui.

Un des témoignages les plus significatifs de cet esprit d’équité est la lettre que, à l’époque où il venait d’être chargé des travaux de reconstruction de Saint-Pierre de Rome, Michel-Ange écrivait à son neveu, Leonardo Buonarotti, à Florence, pour lui enjoindre de faire prendre et de lui envoyer les mesures de la coupole de Sainte-Marie-des-Fleurs, « car, ajoutait-il, on peut s’écarter d’un pareil modèle, mais on ne peut faire mieux. » J’ignore si le savant architecte à qui la tâche était échue de nous parler dans le nouveau volume des édifices bâtis par Michel-Ange, j’ignore si M. Garnier s’est souvenu de cette lettre. Toujours résulte-t-il du fait que si, comme le pense M. Garnier, « Michel-Ange ignorait la langue de l’architecture, » ce n’était pas, on en conviendra, qu’il n’eût essayé de l’apprendre en bon lieu. On peut croire après tout qu’il l’avait apprise, sauf à la parler ensuite à sa manière. Lors même qu’il faudrait admettre avec M. Garnier que « la courbe donnée à la coupole de Saint-Pierre n’est pas de Michel-Ange, » Michel-Ange ne serait pour cela ni justement déchu de ses privilèges, ni dépossédé de ses droits. En concevant l’idée première d’un aussi admirable couronnement et en indiquant les moyens de le construire, il aurait encore assez bien