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Pensionné du roi, honoré des marques d’estime d’illustres personnages, Pereire poursuivit son œuvre. À nombre de muets il donna la parole, mais il garda sa méthode d’éducation comme un bien personnel. On perdit presque le souvenir de ses brillans succès lorsque l’abbé de l’Épée eut gagné la faveur de toutes les classes de la société en apprenant aux sourds le langage des signes[1]. Pereire avait laissé des élèves qui crurent avec raison rendre hommage au maître en divulguant le mystère de leur instruction ; des notes éparses purent être rassemblées. Il a suffi de chercher un peu pour connaître la méthode tombée dans l’oubli[2]. Au reste, l’enseignement des sourds-muets par la parole se trouvait remis en pratique ; à Genève, M. Magnat obtenait de ce système d’éducation d’heureux résultats. Il vint à Paris accompagné de jeunes gens formés à ses leçons ; ces jeunes gens, absolument sourds, conversaient avec une singulière facilité. Petits-fils et arrière-petits-fils de Jacob Rodrigues Pereire, voyant revivre le prodige qui plus d’un siècle auparavant avait émerveillé la cour et l’académie et donné un lustre à leur aïeul, ont voulu fonder à Paris un établissement où de pauvres êtres que la privation d’un sens condamne à l’isolement viendraient acquérir le moyen de communiquer avec les autres hommes sans le secours de l’écriture. Dans cette maison nouvelle, des enfans de divers âges, au nombre d’une trentaine, fournissent des sujets d’observations curieuses sur le phénomène de la voix et sur l’articulation du langage[3].

Le sourd de naissance reste absolument muet tant qu’il n’est pas façonné à l’usage de la parole ; il ne profère aucun cri. Ses lèvres, sa langue, conservent l’immobilité : sa bouche demeure fermée, son larynx dans un perpétuel repos ; il respire seulement par les narines. Le jour où l’on tente d’amener l’enfant à prononcer la lettre écrite sur le tableau, on croirait l’appareil vocal impuissant à rendre des sons. Le maître indique au petit muet comment il doit ouvrir la bouche, placer la langue et les lèvres ; donnant l’exemple, il attire sur son propre larynx la main de l’enfant de manière à faire sentir le mouvement qui doit être exécuté. D’abord, c’est à peine s’il vient un souffle ; après des exercices sans cesse renouvelés, l’articulation se manifeste comme étouffée ; encore un peu de travail et le son éclate. Le sourd-muet arrive ainsi à prononcer toutes les

  1. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1873, l’Institution des sourds-muets, par M. Maxime Du Camp
  2. Voyez une intéressante notice de M. Félix Hément : Jacob Rodrigues Pereire, premier instituteur des sourds-muets en France. Paris 1875.
  3. L’institution fondée à Paris, avenue de Villiers, 94, par MM. Pereire, est dirigée par M. Magnat, auteur d’un Cours d’articulation pour l’Enseignement de la parole articulée aux sourds-muets. Paris 1874.