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l’élection du duc de Leuchtenberg[1]. Aussi, dès que le duc de Nemours fut élu, Louis-Philippe s’empressa de refuser le trône pour son fils, ne retenant de ce choix populaire que le bénéfice moral et se refusant à rien faire qui pût mécontenter la conférence de Londres.

Lord Palmerston l’avait déclaré à M. de Talleyrand le 1er février 1831, c’est-à-dire la veille du jour où le congrès belge devait nommer son roi : « Si le duc de Nemours est nommé, ce sera pour nous l’union pure et simple de la Belgique et de la France ; le gouvernement français n’aura plus qu’à mesurer les conséquences qu’entraînerait l’acceptation de la couronne. » Cette déclaration, nécessaire peut-être pour M. de Talleyrand, était bien superflue pour le roi. Louis-Philippe n’ignorait pas les sentimens du ministère anglais et il était résolu à en tenir compte.

Que cette résolution ne lui ait rien coûté, il serait téméraire de le croire ; son langage officiel à cette occasion laissa percer des regrets noblement étouffés. Une chose certaine, c’est que ces regrets du père ne firent pas hésiter un instant la volonté du souverain. Nous avons sur ce point un témoignage que M. Ernest de Stockmar n’aurait pas dû passer sous silence. « Je me trouvais au Palais-Royal, dit M. Guizot, le 17 février 1831, au moment où les députés du congrès belge vinrent présenter au roi Louis-Philippe la délibération de cette assemblée qui avait élu son fils, le duc de Nemours, roi des Belges. J’ai assisté à l’audience que leur donna et à la réponse que leur fit le roi. Je ne dirai pas toutes les hésitations, car il n’avait pas hésité, mais toutes les velléités, tous les sentimens qui avaient agité à ce sujet l’esprit du roi se révélaient dans cette réponse : l’amour-propre satisfait du souverain à qui le vœu d’un peuple déférait une nouvelle couronne ; le regret étouffé du père qui la refusait pour son fils ; le judicieux instinct des vrais intérêts de la France, soutenu par le secret plaisir de comparer son refus aux efforts de ses plus illustres devanciers, de Louis XIV et de Napoléon, pour conquérir les provinces qui venaient d’elles-mêmes s’offrir à lui ; une bienveillance expansive envers la Belgique à qui il promettait de garantir son indépendance après avoir refusé son trône. Et au-dessus de ces pensées diverses, de ces agitations intérieures, la sincère et profonde conviction que le devoir comme la

  1. Cette élection du duc de Nemours, que le roi Louis-Philippe lui-même avait très sincèrement déconseillée aux représentans de la Belgique, fut imposée en quelque sorte par cet incident inattendu. On en retrouve la trace dans une lettre que M. Bresson, notre chargé d’affaires à Bruxelles, écrivait plus tard à M. Guizot au sujet d’une affaire analogue. M. Bresson, discutant à Madrid avec le chargé d’affaires anglais, M. Bulwer, lui avait dit très nettement : « Quand lord Pousonby, il y a treize ans, a essayé de pousser au trône de Belgique le duc de Leuchtenberg, j’ai fait élire en quarante-huit heures le duc de Nemours… » Voyez M. Guizot, Mémoires, t. VIII, p. 218.