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s’efforçait de compléter. L’empereur, voulant ou croyant rester maître des événemens, avait gardé le droit de choisir le moment, la manière d’engager la question, et quelquefois Cavour ne laissait pas de s’inquiéter d’une incertitude, qui après tout pouvait aboutir à un ajournement indéfini ; mais il est bien clair que, lorsque de semblables combinaisons de guerre se forment, elles tendent fatalement vers leur but. Le secret des alliances transpire, les esprits se troublent, les relations s’aigrissent ; c’est ce qui arrivait vers la fin de 185S. L’Italie, habilement agitée, frémissait, pressentant et désirant le conflit. La France, un peu étonnée, mal informée, était réduite à interroger les énigmes de la politique impériale ; l’Europe ressentait un malaise dont elle ne voyait pas les causes, lorsque tout à coup la situation s’éclairait par deux faits éclatant à court intervalle, ou, si l’on veut, par des paroles. Le 1er janvier 1859, Napoléon III, en recevant le corps diplomatique, témoignait brusquement à l’ambassadeur d’Autriche le regret que les relations fussent mauvaises entre Paris et Vienne. Quelques jours après, le 10 janvier, le roi Victor-Emmanuel, en ouvrant ses chambres, disait : « L’horizon autour de nous n’est pas entièrement serein… Notre pays, petit par le territoire, est devenu influent en Europe parce qu’il est grand par les idées qu’il représente, par les sympathies qu’il inspire… Cette situation n’est pas sans dangers, car, en respectant les traités, nous ne sommes pas insensibles au cri de douleur qui s’élève vers nous de tant de parties de l’Italie… » Évidemment le roi Victor-Emmanuel ne parlait pas ainsi sans s’être entendu avec son allié de Paris.

Le soir du jour où avait été prononcé ce discours, dont tout le monde avait remarqué les tons colorés et chauds, le ministre de Russie, le comte de Stackelberg, disait au président du conseil en le complimentant : « C’est une aurore enflammée ! » Et le comte de Cavour répondait que la couleur ne venait pas de l’artiste : « c’est le paysage qui est embrasé d’étincelles et de feux. » Sir James Hudson disait à son tour : « C’est l’éclair qui tombe sur les traités de 1815 ! » C’était tout cela peut-être, — et surtout c’était la première conséquence des engagemens de Plombières, ou, pour mieux dire, la suite de toute une politique qui, avant de toucher le but, avait encore, il est vrai, plus d’une épreuve à subir, plus d’un combat à livrer.


CHARLES DE MAZADE.