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COUSIN ET COUSINE


I.

Comme je me proposais de retourner aux États-Unis vers le milieu du mois de juin, je résolus de profiter des six semaines qui me restaient pour visiter l’Angleterre, que je ne connaissais pas encore. Durant mon voyage en Europe, j’avais toujours donné la préférence aux vieilles auberges, qui, si elles sont parfois moins confortables que nos immenses caravansérails modernes, offrent à l’observateur des sujets d’étude plus fertiles en imprévu. À mon arrivée à Londres, je m’installai donc dans une antique hôtellerie, située assez loin du centre de la ville, au milieu d’un quartier qui me rappelait l’époque déjà classique du docteur Johnson. Le premier soir de mon séjour, je descendis dans la salle à manger, où je commandai mon dîner au génie même du décorum, personnifié par un serviteur en cravate blanche aussi raide qu’obséquieux. À peine eus-je franchi le seuil de cette salle que je me sentis destiné à récolter une ample moisson d’impressions britanniques. L’auberge du Lion-Rouge, comme beaucoup d’autres choses que je devais rencontrer en Angleterre, semblait n’avoir résisté aux ravages du temps qu’en prévision de ma visite.

Je connaissais de longue date la taverne du Lion-Rouge. Les livres et mes visions me l’avaient montrée mille fois ; Smollett, Boswell, Dickens me l’avaient décrite. Elle était peu spacieuse et divisée par des paravens d’acajou en six compartimens, garnis de chaque côté de banquettes non rembourrées. Dans chacune de ces stalles se trouvait une table sans convives, car les beaux jours du Lion-Rouge étaient passés, ne laissant que des fantômes. Tout autour de la salle, à hauteur d’appui, régnait une superbe boiserie d’acajou noircie par l’âge et rendue si brillante par un frottement quotidien que je m’imaginai voir s’y refléter l’image de voyageurs en perruques et en culottes courtes. Une douzaine de gravures jaunies par