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extérieures, vous savez aussi bien que moi les convenances de notre situation : faites ce qu’elle vous prescrit, rien de moins, rien de plus. Attendez les politesses impériales et recevez-les avec le respect qui leur est dû et comme vous étant dues aussi[1]. » Je n’ajoute qu’un mot à ces paroles ; M. Guizot a raison de dire que le tsar se rend à Londres parce que la reine d’Angleterre est venue au château d’Eu, seulement il ignore (et tout le monde devait l’ignorer avant les révélations de Stockmar), il ignore que l’affaire remonte plus haut, qu’elle a été engagée par les tentatives du roi de Prusse à Windsor, et que la démarche de la reine auprès du roi Louis-Philippe lui a été dictée selon toute vraisemblance par le désir de rassurer la politique française. Voilà bien ce que nous font entrevoir quelques-unes des notes du baron, indications d’autant plus précieuses qu’elles nous sont données par un ennemi. Bref, les secrètes pensées du tsar pourraient se résumer en ces termes : « Le roi de Prusse a échoué dans cette mission qui nous est commune, je vais tâcher d’y réussir. »

C’est le 1er juin 1844 que le tsar aborda en Angleterre. Dès qu’on avait eu à Londres la certitude de sa prochaine arrivée, Stockmar, toujours attentif aux intérêts du roi Léopold, avait pensé qu’il fallait mettre cette occasion à profit pour établir les relations diplomatiques entre la Belgique et la Russie. Il en avait parlé à lord Aberdeen et l’avait trouvé parfaitement disposé à entamer la négociation. Il fut convenu que le comte Orlof serait prié de sonder le tsar à ce sujet. Le 4 juin, le tsar eut un long entretien avec lord Aberdeen, et, avant même que le chef du foreign office eût amené la conversation sur les affaires de l’oncle de la reine, le tsar s’écria tout à coup avec une vivacité impétueuse :


« Vous voulez que nous parlions de la Belgique ? Eh bien, parlons-en tout de suite. Asseyons-nous. Je vais oublier que je suis empereur ; oubliez, vous, que vous êtes ministre d’Angleterre. Soyons simplement, moi, Nicolas, vous, Aberdeen. Eh bien ! j’entends, votre reine désire que je me mette sur un pied amical avec Léopold. Moi-même je n’ai rien plus à cœur, j’ai toujours aimé et respecté l’oncle de la reine, et je me réjouirais cordialement de pouvoir me replacer avec lui sur le pied de notre ancienne amitié ; mais aussi longtemps que des officiers polonais resteront au service du roi, cela est absolument impossible. Comme nous en sommes convenus, nous jugeons la chose, non pas en empereur et en ministre, mais en gentlemen. Les Polonais sont et demeurent des rebelles ; un gentleman peut-il prendre à son service des gens qui sont en rébellion contre son ami ? Léopold a pris des rebelles sous sa

  1. Guizot, Mémoires, t. VI, p. 208.