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l’indemnité de rachat se perçoit du reste de la même manière que la contribution personnelle, c’est-à-dire qu’elle est payée non par l’individu, mais par la commune solidairement responsable. En dépit de cette précaution et de la rigueur de la perception, il y a de ce chef beaucoup de recouvremens en souffrance, la terre devant acquitter des redevances souvent supérieures au revenu du sol. D’après le dernier compte-rendu budgétaire, celui de 1875, l’arriéré des annuités de rachat montait, au 1er janvier 1876, à plus de 15 millions de roubles.

Le total des avances faites aux paysans par l’état était alors de 681 millions de roubles, les annuités à percevoir de plus de 40 millions. Si c’est là pour le paysan une pénible charge de surcroît, il faut songer qu’elle doit prendre fin vers 1910, et que ce jour-là l’ancien serf, affranchi de toute redevance pour la terre qu’il cultive, verra ses forces contributives notablement accrues, et l’état la matière imposable singulièrement étendue ou améliorée. Ce qui peut être un danger pour le présent ouvre ainsi de riantes perspectives pour l’avenir. Plus de 40 millions de roubles, près de 150 millions de francs, annuellement versés par le paysan aux collecteurs d’impôt, ne font aujourd’hui que traverser les caisses publiques, car dans cette opération l’état ne sert que d’intermédiaire et comme de banquier aux anciens seigneurs et aux anciens serfs. Ce qu’il reçoit de ceux-ci d’une main, le trésor le rend à ceux-là de l’autre[1]. Au jour de la libération, au contraire, ces 40 millions de roubles annuellement remis aux paysans viendront grossir le rendement des taxes indirectes ou, en cas de besoin, rentreront dans les caisses de l’état, grâce à l’augmentation de l’impôt direct, Par malheur, cette libération du moujik n’aura lieu que dans les premières années du XXe siècle, et jusque-là il sera difficile, en temps de paix, de tirer plus de revenus de la classe rurale, au moins de la partie de cette classe naguère soumise au servage, et peut-être difficile, en temps de guerre, de faire rentrer toutes les impositions existantes.

L’impôt personnel est loin d’être le seul impôt tombant presque

  1. Le produit des annuités de rachat est employé au service des intérêts et de l’amortissement des diverses classes de titres remis en dédommagement aux propriétaires expropriés par la loi d’émancipation. En 1875, ce service a absorbé 40 millions de roubles, c’est-à-dire la totalité des annuités perçues la même année. Les dépenses et recettes du compte de rachat sont ainsi en équilibre ; mais de graves événemens publics, comme une guerre prolongée ou malheureuse, pourraient compromettre ce service et interrompre le paiement de l’indemnité au propriétaire en même temps que les versemens des annuités du paysan.