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de Saint-Benoît. Église et monastère s’étaient conservés intacts jusqu’à nos jours ; à la suite de plusieurs mutations, ils étaient devenus, depuis 1542, la propriété de l’hôpital de Santiago de Vitoria. Pendant la première guerre carliste, le monastère fut incendié, et l’église pillée, délaissée, finit par être louée à un petit cultivateur qui s’en sert pour loger ses vaches. Comme dans les bas-reliefs de la basilique d’Armentia, on y signale un double courant de l’art. Rebâtie par les abbés de Najera, qui l’avaient reçue en don de l’héritière des comtes d’Estibaliz, elle n’en a pas moins gardé quelques morceaux de sculpture dont l’origine latino-byzantine ne saurait être douteuse. Un moment, en 1871, on avait parlé de la rendre au culte : la réparation devait se faire sous les auspices et aux frais de la députation provinciale ; mais la nouvelle guerre civile est venue, qui a réduit tous les beaux projets à néant, et c’est en enjambant des tas de fumier qu’on va considérer ces curieux débris d’un autre âge.

A quelque distance au sud dans la plaine, et des derniers restes de l’antique cité sans doute, s’est formé un humble village qui lui a emprunté son nom, Villafranca ; chaque année, au 1er mai, les paysans des environs viennent en foule y saluer la vierge d’Estibaliz, la même qui décorait autrefois le temple roman, et que les fidèles ont précieusement recueillie. Cette statue passe, auprès des connaisseurs, avec la vierge de la Esclavitud, conservée dans la collégiale de Santa-Maria de Vitoria, comme un des échantillons les plus purs de l’art au moyen âge en Alava ; mais il est difficile d’en juger. Placée dans une niche, au-dessus d’un autel, elle disparait presque entièrement sous ces étoffes d’argent et ces broderies lourdes dont la piété espagnole affuble ses madones. Par bonheur, je connaissais déjà celle de Vitoria, qui est à peu près semblable, et dont un sacristain complaisant, moyennant quelques réaux glissés à propos, m’avait permis de défaire les ajustemens : la vierge, toute en bois et de taille ordinaire, est assise sur une espèce de trône à dossier ; ainsi s’expliquent la grosseur de sa tête et les dimensions de l’enfant Jésus, qui paraissaient hors de proportion tant qu’on pouvait croire qu’elle était debout ; elle porte un mantelet et une longue robe bleue et or, sur le front une large couronne de bois peint d’où pendent des paillettes ; les yeux sont grands, étonnés, le nez droit, la bouche petite, le buste un peu trop long pour les jambes, la poitrine plate comme les sculpteurs d’alors faisaient leurs saintes et leurs vierges. Cela est naïf, même grossier, mais combien cet art primitif l’emporte sur les mièvreries et les élégances convenues de notre imagerie religieuse !

Le jeune homme qui m’avait accompagné dans ces excursions est déjà connu comme un des écrivains distingués de l’Espagne ;