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l’Arabie du sud et dans le Turkestan, où le chef qui se sent d’humeur à mener quelque expédition guerrière groupe autour de lui de fidèles musulmans, comme le chef germain enrôlait des compagnons, qu’il payait avec du pillage, materia munificentiœ per bella et raptus. C’est encore une erreur aujourd’hui démontrée que de voir dans ces coutumes l’origine de la féodalité : les relations de patronat et de clientèle ne naissent-elles pas naturellement, chez les peuples jeunes ou dans les états vieillis, partout où les lois générales n’existant pas encore ou bien étant devenues impuissantes, c’est la protection qu’on cherche, et non la liberté[1] ? Il n’y a pas si longtemps que les Japonais étaient encore en pleine féodalité ; c’était l’état des Gaulois avant la conquête romaine, et M. de Laveleye a montré naguère aux lecteurs de la Revue une féodalité d’espèce singulière chez les vieux Celtes d’Irlande[2]. Enfin les forêts allemandes ne recelaient point la source unique des libertés modernes. A l’assemblée grossière de la tribu germanique, où les sentimens se marquent par le choc des armes ou par des grognemens, je préfère celle des Grecs homériques, debout derrière le cercle de pierres polies où siègent les rois et les sages, écoutant l’orateur inspiré par Minerve. Pour admettre que les Germains aient eu le dépôt des institutions de l’avenir, il faut croire que Dieu le leur a confié par un décret spécial. M. Daniel irait peut-être jusque-là ; mais on regrette que M. Himly n’ait point apporté l’habituelle sûreté de sa critique dans l’étude de coutumes où il voit jusqu’à « la pondération des pouvoirs. »

C’est le seul endroit où il faudrait retoucher dans les cent quarante pages employées par M. Himly au résumé de l’histoire d’Allemagne. Il est difficile de demeurer précis dans un morceau de cette sorte : M. Himly a fait ce tour de force. Le long duel entre Rome et la Germanie, où la première perd bientôt l’offensive ; cette invasion de l’empire, qui commence à l’amiable par l’entrée des barbares dans les légions et par l’établissement des colons germains sur les terres romaines, pour s’achever par les mouvemens désordonnés de peuples entiers qui forcent toutes les frontières ; l’épuisement, après ce grand effort, de la Germanie, bientôt entamée par les Slaves et les Avares qui occupent la moitié orientale de son domaine primitif ; la barbarie persistant jusqu’au jour où les Francs, après avoir établi leur domination en Gaule, se retournent contre la mère-patrie, dont ils achèvent sous Charlemagne la conquête, entreprise par Clovis ; le christianisme dépossédant la religion d’Odin ; les anciens évêchés reparaissant dans les vieilles villes romaines ; des évêchés nouveaux et des monastères fondés en terre païenne, au milieu des bois qu’on défriche ; la collaboration des missionnaires,

  1. Voyez les études de M. Fustel de Coulanges, dans la Revue du 15 mai 1873 et du 1er août 1874.
  2. Voyez la Revue du 15 avril 1875.