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constaté la présence sur la frontière de Chine d’une bande de pirates chinois qui se sont emparés d’une province, la gouvernent militairement et prélèvent pour leur compte un droit indirect de 33 pour 100 sur le commerce, Ils sont à la solde de Tu-Duc, mais ils ne font aucun cas du faible mandarin qui représente au milieu d’eux le gouvernement de l’Annam. Du reste M. de Kergaradec a éprouvé qu’on ne pouvait entrer dans le Yunan sans leur permission, même avec les passeports annamites.

Par la conclusion de ce traité, les négociateurs de Tu-Duc ont étouffé d’avance toutes velléités d’extension territoriale que nous aurions pu concevoir pour nous rapprocher des frontières de Chine. La grande politique a reçu, en cette occasion, un coup dont elle aura peine à se relever, et nos adversaires cochinchinois ont su nous réduire à la petite, qui consistait à nous cantonner dans l’administration d’un territoire mesquin et à nous contenter de bénéfices annuels de quelques millions, lorsque nous étions en situation de dominer bientôt l’Indo-Chine, de recueillir, par droit de découverte, la plus grande partie des bénéfices du transit avec la Chine par la grande rivière, au lieu d’y participer modestement et pauvrement dans la mesure ordinaire parmi les nombreux concurrens qui ne peuvent manquer d’exploiter prochainement, en même temps que nous et au même titre, la navigation du Song-koï[1].

Enfin il faut, selon le proverbe, savoir se contenter de ce qu’on a lorsqu’on ne peut avoir ce qu’on ambitionne. Tel qu’il est, notre territoire colonial de la Basse-Cochinchine mérite qu’on s’y intéresse et qu’on se félicite de l’avoir acquis. Les progrès y sont rapides, la transformation morale de la population n’y est pas moins remarquable : voici quelques chiffres propres à en faire ressortir l’importance. Les statistiques publiées par le ministère de la marine et que nous avons entre les mains se rapportent aux années 1867, jusques et y compris 1871. Les premiers relevés sont restés purement approximatifs, l’administration n’étant pas encore définitivement organisée ; ils ne comprennent d’ailleurs que les trois provinces de Saïgon, Mytho et Bien-hoa. Depuis lors, trois nouveaux territoires ont été annexés à notre colonie ; nous avons dit en quelles circonstances et pour quels motifs. Ils étaient peu peuplés, et les cultures n’y étaient pas très étendues ; néanmoins il faut en tenir compte dans l’augmentation considérable de la population, du mouvement commercial et des travaux agricoles. En 1867, la population totale de la Cochinchine française, sans y comprendre les

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mai 1874, l’intéressante étude de M. E. Plauchut sur le Tonkin et les relations commerciales.