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la vraie liberté, puisque, sans aucun contrôle, elle remet souvent les intérêts d’un nombreux personnel au premier venu, s’il lui a pris fantaisie de s’improviser directeur d’une semblable entreprise. Sans insister sur les nécessités de répression dont la loi confère le soin à l’autorité, il nous semble que c’est par la bonne musique qu’il convient aussi de lutter contre cet envahissement et de parer à la dépression de goût qu’il amène. Si on leur assure un répertoire, nos deux Opéras subventionnés reprendront la situation élevée qu’ils doivent avoir, celle que le Théâtre-Français occupe vis-à-vis des autres théâtres. Ils auront, comme lui, pour mission de relever et de maintenir intactes les grandes traditions, et nous osons affirmer que le concours du public ne leur fera pas défaut. On objectera peut-être que le rôle que nous réclamons pour eux, le Théâtre-Lyrique l’a rempli naguère, et qu’il s’est ruiné à ce jeu. Il nous sera permis de répondre que cette ruine n’est aucunement imputable à l’exécution des chefs-d’œuvre de Mozart et de Weber, puisque pour ces représentations classiques l’affluence n’a jamais cessé d’être grande et que, sur ces recettes d’une salle comble, le prélèvement des droits était moins considérable que pour des pièces modernes. Depuis ce temps d’ailleurs, et la tentative du Théâtre-Lyrique y a contribué pour sa part, le goût du public s’est encore épuré. Nous n’en voulons pour preuve que la faveur constante dont jouit maintenant la musique symphonique à Paris et la facilité qu’on y trouve pour entendre ses plus remarquables productions.

Sous ce rapport, notre capitale ne craint la comparaison avec aucune des villes les mieux partagées de l’Allemagne. La supériorité d’exécution des concerts du Conservatoire est consacrée, même à l’étranger, par l’admiration de tous, et nulle part ailleurs on ne rencontrerait à un tel degré cette perfection, cet art exquis de mettre en relief toutes les beautés des œuvres de&maîtres et d’en faire ressortir les plus délicates nuances avec une pureté de goût et une largeur de style irréprochables. Tout cela est aussi vrai que rebattu, et c’est, croyons-nous, parce que la Société des concerts n’avait rien à redouter pour sa vieille réputation que, comme le faisait observer un bon juge[1], elle ne devait pas s’effacer au moment même où la plupart des orchestres étrangers se rendaient à l’appel de la France. S’il ne lui convenait pas d’affronter l’immensité de la salle du Trocadéro avec l’obligation, d’ailleurs incompréhensible, de restreindre ses programmes aux œuvres de compositeurs français et vivans, pourquoi n’avoir pas donné chez elle, au Conservatoire même, et avec son répertoire habituel, une série de concerts supplémentaires durant l’exposition ? C’était là comme un devoir patriotique auquel,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août 1878, les Concerts du Trocadéro, par M. Blaze e Bury.