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maritime. Le ministre de la guerre, le comte d’Argenson, ne redoutait pas quelque campagne continentale où il aurait l’occasion de déployer son activité et d’affermir son crédit toujours menacé par Mme de Pompadour. Les uns se montraient assez favorables à la politique d’union avec l’Autriche ; les autres tenaient encore pour l’alliance avec le roi de Prusse, à qui on venait d’envoyer l’aimable duc de Nivernais et qui déjà se disposait à lever le masque.

Les ministres, embarrassés de leur rôle et n’ayant pas le dernier mot du maître, finissaient par laisser faire Bernis, tout prêts à lui disputer le succès, s’il y avait un succès, et à le désavouer, à l’accabler au premier contre-temps. Pendant quelques mois, Bernis restait par le fait à peu près seul à cette œuvre délicate et épineuse d’une négociation dont il sentait la gravité, qu’il voyait se déplacer ou se compliquer incessamment. Seul il avait à traiter chaque jour avec le roi, avec Mme de Pompadour, avec M. de Staremberg ; seul il était chargé de préparer mémoires, dépêches secrètes, projets ou contre-projets, moyens d’exécution. Il se trouvait dans une situation singulière. Il avait le crédit et la faveur, il était même admis, par un privilège rare, à la table du roi, à Choisy, et il n’avait ni un caractère reconnu, ni aucune des réalités du pouvoir. Il avait entre les mains la plus grande affaire du temps ; une vraie révolution de politique extérieure, et il ne pouvait pas même se faire initier aux plus simples actes de la diplomatie dans les cours du nord. Il avait tout conduit jusqu’au bout, et au dernier moment, c’est à peine si l’ombrageux ministre des affaires étrangères, le vieux Rouillé, se résignait, sur un ordre du roi, à donner à l’abbé un pouvoir de plénipotentiaire pour signer au traité du 1er mai 1756, qui scellait l’alliance définitive de la France et de l’Autriche. On ne saurait imaginer résolution plus décisive sortant d’une plus étrange confusion d’intrigues, de secrets et de manèges, préliminaires peu sérieux d’une terrible guerre.

Une conséquence assez logique de la signature du traité du 1er mai 1756 eût été, à ce qu’il semble, d’en finir avec ces anomalies, de faire du vrai négociateur de l’alliance le ministre chargé de la pratiquer. Les courtisans, qui ne marchandent pas avec le succès du moment, disaient sans façon à Bernis qu’il allait « remplacer le cardinal de Richelieu, » et M. de Kaunitz écrivait gravement de Vienne : « Je désire beaucoup apprendre bientôt que le roi ait honoré M. le comte de Bernis d’une place au conseil. Il faut à la France et à ses alliés un grand homme dans les affaires, et M. de Bernis me paraît avoir cette qualité ! .. » Un Richelieu à prochaine échéance, un « grand homme, » convenez qu’on allait lestement ! Les affaires de cour n’allaient pas aussi vite à Versailles, ce n’est que dans le commencement de janvier 1757 que Bernis