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sentimens honnêtes. Le fait saillant qui éclate sans contradiction, c’est, dit M. Gréard, que « l’intelligence de la loi du travail est générale. Pas un n’a l’idée de se soustraire à une profession. » Si l’on faisait de pareilles questions aux jeunes gens de nos lycées, combien n’y en a-t-il pas qui répondraient franchement qu’ils choisissent la profession de ne rien faire ! Il n’est pas un enfant des écoles qui ait eu cette idée, même à titre de vœu, même à titre de rêve. Quand il y a rêve, c’est pour des choses plus élevées qu’on ne peut atteindre. Encore se résigne-t-on à y renoncer devant les vœux contraires des parens, devant sa propre incapacité très franchement avouée. La prétendue manie de déclassement que produirait l’instruction populaire ne s’y trahit par aucun signe. Les quelques naïvetés que l’on peut relever en ce sens ne sont que les exagérations de désirs après tout légitimes, car les arts n’ont rien que de très convenable aux goûts et aux aptitudes de la femme.

Ce serait d’ailleurs une erreur de croire que les jeunes enfans des écoles, que nous venons d’entendre, appartiennent exclusivement aux classes les plus infimes de la société, et par conséquent que toute vocation un peu élevée y serait un signe de déclassement, car il nous semble au contraire, à consulter le tableau des professions des parens, qu’il y a là beaucoup plus encore de petits commerçans, de petits employés, de petits entrepreneurs, et même de petits rentiers, que d’ouvriers proprement dits. Une autre remarque qui confirme la précédente, c’est que les professions choisies par les enfans sont encore, après tout, parmi les plus élevées et les plus indépendantes. Pas une ne choisit la fabrique, pas une le service. Où se recrutent donc les ouvrières et les domestiques ? Ne pourrait-on pas conclure de ce double fait que nous n’avons encore ici que le dessus du panier, que l’instruction populaire, si étendue et si développée qu’elle soit aujourd’hui, n’est pas encore descendue jusqu’aux dernières couches ; ou du moins que les enfans de cette classe ne restent pas à l’école aussi longtemps que les autres, ou qu’ils n’ont pas assez de culture pour être capables d’un travail semblable à celui qui a été proposé. Quelle que soit l’explication du fait que nous venons de signaler, tout porte à croire qu’on est loin d’avoir atteint la dernière limite dans l’extension de l’instruction populaire, qu’il y a encore bien des conquêtes à faire, bien des populations à atteindre, et que la fraternité non moins que la politique commande impérieusement d’aller jusqu’au bout.


II


Le rapport de M. F. Buisson sur l’instruction primaire à l’exposition de Philadelphie, en 1876, est plus qu’un rapport officiel, c’est un véritable ouvrage, intéressant au plus haut degré, non-seule-