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qui font des figures et d’autres ouvrages semblables, de rien innover ni de s’écarter en rien de ce qui a été réglé par les lois du pays ; la même mode a lieu en tout ce qui appartient à la musique. Et si on veut y prendre garde, on trouvera chez eux des ouvrages de peinture et de sculpture faits depuis dix mille ans (quand je dis dix mille ans, ce n’est pas pour ainsi dire, mais à la lettre), qui ne sont ni plus ni moins beaux que ceux d’aujourd’hui, et qui ont été travaillés sur les mêmes règles. » Platon savait exactement ce que c’est qu’une année, et il parle à la lettre lorsqu’il nous affirme que l’art égyptien était arrivé dix mille ans avant lui à une perfection invariable.

Ce que vaut ce témoignage, on ne le saura que lorsque l’histoire de l’ancien empire sera élucidée plus complètement ; mais dès aujourd’hui il est impossible de le rejeter comme une exagération incontestable. Les égyptologues les plus discrets s’accordent à reconnaître qu’une longue période de préparation a dû précéder l’établissement de la première dynastie et l’éclosion d’œuvres remarquables qui l’a immédiatement suivi. M. Chabas, pour son compte, évalue cette période à quatre mille ans environ. Ce chiffre n’a évidemment rien de rigoureux ; beaucoup de personnes sont portées à le regarder comme un minimum. Si nous n’avions que le témoignage des œuvres d’art pour reculer ainsi l’origine du monde, on pourrait douter cependant. Certaines races se développent avec une étonnante rapidité et s’arrêtent ensuite aussi vite qu’elles ont avancé. M. Renan[1] a comparé les Égyptiens de l’ancien empire aux Chinois, arrivés de prime saut à une grande perfection d’exécution matérielle qu’ils n’ont jamais dépassée. « Ces vieillards nés d’hier » n’auraient eu ni enfance ni décrépitude. On doit certainement tenir compte de ce caractère particulier du génie égyptien et prendre garde de ne pas se laisser entraîner, en un sujet aussi grave, aux fantaisies d’une imagination surexcitée. Si étonnans que soient les monumens de la salle de l’ancien empire au musée de Boulaq, j’hésiterais à dire qu’il ait fallu quatre mille ans à une race douée d’une merveilleuse dextérité matérielle pour apprendre à les exécuter. Mais les preuves de l’antiquité de l’Égypte avant Menés ne manquent pas, même lorsqu’on refuse d’accepter le témoignage des œuvres d’art. Menés, on le sait, avait été précédé d’un grand nombre de rois locaux connus sous le nom de Horschesu (serviteurs d’Horus) ; or, s’il faut en croire les inscriptions du temple de Dendérah, c’est à l’un de ces rois qu’appartient la fondation du plus ancien monument de cette ville, du premier temple élevé à Hator, c’est-à-dire à la déesse de la beauté, de

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1865.