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qui triomphent, officiels ou officieux, heureux et comblés, se considèrent comme l’ombilic du monde et croient que la France n’a plus rien à envier, qu’elle n’a plus qu’à se saturer de son propre bonheur sous l’astre bienfaisant qui s’est levé sur elle.

C’est en vérité le ton du jour. On ne voyage plus qu’au milieu des acclamations et des illuminations. On n’arrive plus dans une ville sans passer à travers les populations enthousiastes et les feux de Bengale. On ne parle plus que sur le mode lyrique pour annoncer les prodiges qui se succèdent. Il n’est pas un discours qui ne le dise : jamais la France n’a été plus haut placée et plus libre, plus écoutée au dehors, plus paisible et plus florissante à l’intérieur ! La France peut être désormais rassurée : elle est relevée depuis tantôt un an, elle a retrouvé sa vraie grandeur avec ses finances gérées par M. le sous-secrétaire d’état Wilson, avec son armée reconstituée par M. le ministre de la guerre, avec son immense essor de travaux publics, avec le génie laïque qui préside à l’enseignement régénéré ! Il n’y a plus qu’à marcher. Tous les ministres, c’est bien entendu, sont des hommes supérieurs, habiles, fermes, modérés et surtout populaires : au besoin leurs subordonnés le leur diraient au risque d’offenser leur modestie. On a vu, il n’y a pas bien longtemps tel préfet exprimer avec une imperturbable conviction le regret de n’avoir pas devant lui son chef, M. le ministre de l’intérieur, pour le saluer grand homme, pour lui déclarer courageusement qu’il est le plus populaire des ministres. On a vu de ces scènes dans les vaudevilles ! C’est une manière nouvelle de faire de la politique. Hommes et choses, tout est transfiguré. Le moindre événement prend des proportions absolument bizarres, et il n’est pas jusqu’à M. le président du conseil, plus sérieux et plus mesuré d’habitude, qui, avec une philosophie digne de celui qui voulait mettre l’histoire de France en quatrains, n’ait cru pouvoir dire en parlant des élections récentes des conseils-généraux : « Nous arrivons à ces admirables élections du 1er août qui sont pour moi le couronnement et le dernier terme de l’évolution historique que la France avait à accomplir. » Voilà des élections qui ne s’attendaient pas à être chantées sur ce mode majeur et à être représentées comme le couronnement d’un cycle de l’histoire, uniquement parce qu’elles ont donné une majorité républicaine aux conseils-généraux d’un certain nombre de départemens !

Eh bien ! non, ces exagérations, ces vanités, ces congratulations n’ont rien de sérieux. Ce n’est pas là un langage digne d’un pays qui a été assez éprouvé pour n’être plus amusé d’infatuations, de billevesées, d’illusions et de vaines flatteries. Non, il n’y a ni vérité ni prévoyance à laisser croire à la France que, parce qu’elle a la république, elle est relevée, elle a réparé ses. malheurs, que parce qu’elle a un ministère de la guerre comblé d’argent depuis dix ans, elle a l’armée à laquelle elle a droit, que, parce qu’elle a la prospérité matérielle et la paix sous