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casuistes et comme reproduites fidèlement, tant de décisions scandaleuses. Ce n’est pas Pascal, c’est l’église de France qui a reconnu dans la casuistique, non les bizarreries isolées de quelques esprits singuliers, mais tout un système de corruption et de mensonge fonctionnant au profit de la redoutable société. Les curés de Paris l’ont crié plus haut que Pascal, et si les évêques y ont mis un peu plus de ménagemens, il suffit cependant de lire les procès-verbaux de l’assemblée de 1700 pour voir clairement où va leur pensée :

« Mgr l’évêque de Meaux, chef de la commission, après avoir imploré l’assistance de Saint-Esprit dans une matière si importante, a dit que, pour entrer dans l’esprit de l’assemblée qui avait établi cette commission, il fallait également attaquer les erreurs, même opposées, qui mettaient la vérité en péril ; que, si l’on n’avait à consulter que la sagesse humaine, on aurait à craindre de s’attirer trop d’ennemis de tous côtés, mais que… » Et après une protestation contre les disputes du jansénisme, c’est-à-dire contre les cinq propositions : « Que l’autre sorte d’erreurs, qui regardent le relâchement de la morale, n’était pas moins digne du zèle des évêques ; que chacun savait le dessein de l’assemblée de 1682, et qu’on ne pouvait rien faire de plus utile que d’en reprendre les projets. » Tout cela était parfaitement clair aux contemporains, et tout le monde savait que c’étaient les jésuites que condamnait l’assemblée[1].

Il est vrai que, neuf ans après cette censure, le règne du père Tellier commençait et que jamais les jésuites ne parurent plus forts ni plus malfaisans ; mais cette force n’est qu’une apparence. Avant la fin du siècle qui venait de s’ouvrir, on les vit chassés par les gouvernemens de tous les états de l’Europe, et enfin, le 1er juillet 1773, le pape Clément XIV abolissait la société de Jésus. C’est en

  1. Procès-verbal du 26 août. Œuvres complètes de Bossuet, tome III, page 603. L’assemblée de 1682, on l’a vu, n’avait fait en cela que répondre aux plaintes des curés, et c’est ce qui est reconnu dans le préambule du Decretum de morali disciplina préparé alors par Bossuet, et qui n’aboutit pas : Fratres quoque nostri, etc. « Nos frères aussi, les curés des églises, ont élevé la voix dans les rues de Sion, et s’adressant aux évêques établis dans un poste plus élevé, nous ont réveillés par leurs cris répétés. » (Ibid., p. 584.) Ce que dit Bossuet dans le procès-verbal de l’assemblée, il l’avait exprimé plus clairement encore par d’autres paroles non publiées, mais dont l’abbé Le Dieu a conservé l’analyse : « Que si, contre toute vraisemblance, et par des considérations qu’il ne voulait ni supposer ni admettre, l’assemblée se refusait à prononcer un jugement digne de l’église gallicane, seul il élèverait la voix dans un si pressant danger ; seul il révélerait à toute la terre une si honteuse prévarication ; seul il publierait la censure de tant d’erreurs monstrueuses. » (Bausset, Histoire de J.-B. Bossuet, 1814, tome IV, p. 20.)
    Si quelqu’un aujourd’hui pouvait encore avoir des doutes sur le sens de ces démonstrations, il lui suffirait pour y voir clair de relire les pages amères et irritées par lesquelles Joseph de Maistre, dans son livre de l’Église gallicane, a rendu compte de cet acte de l’assemblée de 1700. (Livre II, chap. XI, p. 252, dans l’édition de 1821.)