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mystérieuse, à ce qu’il paraît, en vertu de laquelle un fleuve est ordinairement plus large ou plus profond au milieu de son parcours qu’à sa source. Ainsi, dans le mystère des Prophètes du Christ, ils étaient treize à Limoges ; on introduit dans le drame quelques « prophètes jusqu’alors négligés, » ce pauvre Amos, ou Zacharie, fils de Barachias ; et ils sont vingt-sept à Rouen. Voilà ce que c’est que la loi d’assimilation et d’amplification. Je vous laisse à penser de la loi d’agglutination et de juxtaposition. M. Petit de Julleville a bien voulu nous en faire grâce. C’était justice de l’en remercier.

Au surplus, je ne crois pas qu’il se soit proposé rien autre chose que de rassembler en un corps les renseignemens épars un peu partout dans les brochures de nos érudits. Car vous savez que nos érudits ne composent pas de livres, n’ayant pas encore, ce disent-ils, entre les mains assez de documens. Ils ressemblent à ce paysan de la fable qui s’asseyait au bord de la rivière pour attendre que la rivière eût fini de couler. Là-dessus, demandez à M. Aubertin, — l’auteur d’une excellente Histoire de la langue et de la littérature françaises au moyen âge, dont M. Petit de Julleville, pour le dire en passant, a quasi l’air d’ignorer l’existence, — demandez-lui comment les érudits accueillent les travaux de ceux qui ne consentent pas à reculer l’heure de penser, de réfléchir et de composer jusqu’au jour où l’on aura publié ces fameux documens ! Eh bien ! non, comme le dit M. Petit de Julleville, « il n’est pas probable que les bibliothèques cachent encore beaucoup de pièces inconnues appartenant à notre vieux répertoire théâtral. » Et j’ajoute que, quand elles eu cacheraient des centaines encore, nous en connaissons assez dès à présent pour en pouvoir juger avec toute sûreté de conscience.

Non pas certes que nous méprisions le document. Nous l’apprécions comme il convient et nous en reconnaissons toute l’importance, à la seule condition au moins que l’on s’en serve, et que l’on ait l’art de le mettre en œuvre. Ainsi, nous savions depuis longtemps que le théâtre du moyen âge était sorti, comme le théâtre grec, de l’ombre même du sanctuaire ; mais nous ne le savions que d’une manière très générale, et partant incertaine encore, vague et flottante. Ceux de nos lecteurs qui voudront bien se reporter au beau travail que publiait ici même, il y a douze ans, sur le Drame religieux, M. Albert Réville[1], verront clairement qu’on avait alors, pour toute la période au moins des premières origines, l’intuition plutôt que la science, le soupçon plutôt que la certitude, et des présomptions plutôt que des preuves de cette étroite alliance ou de ce parentage du théâtre et de l’église. On a démontré depuis, pièces en main, pour ainsi dire, ce qu’on ne pouvait encore, vers 1868, qu’inférer par analogie. Les pièces de cette démonstration,

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1868.