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cela, on est allé de l’avant, on a voulu, contre toute prudence, pousser les cours encore plus haut. Ils sont retombés brusquement sur ces spéculateurs de la dernière heure, gens du monde pour la plupart, qu’on retrouve toujours dans ces sortes de paniques et qui ne contribuent pas peu à les aggraver par leur défaut d’expérience et de sang-froid. C’était inévitable. Mais il était inévitable aussi qu’à moins de complications extérieures, le marché se remettrait fort vite d’une secousse qui n’avait, en somme, atteint sérieusement qu’un petit nombre de valeurs et qui ne s’était nullement étendue aux autres places. Sans être optimiste, on ne peut en effet s’empêcher de reconnaître que le mouvement qui a successivement poussé tous les fonds d’état aux cours élevés qu’ils ont atteints, que ce mouvement, ce phénomène si l’on veut, s’explique de la façon la plus naturelle et par une raison qui n’a rien d’accidentel, à savoir l’abaissement constant du taux de capitalisation des revenus dans le monde entier. Que cette tendance universelle ait été soutenue par la spéculation, cela est incontestable ; mais ce qui ne l’est pas moins, c’est que la hausse persistante des dernières années lui est due en grande partie, et que c’est elle encore aujourd’hui qui autorise et justifie la présomption d’un nouveau pas en avant. La liquidation des 2 et 3 mai promet donc de s’effectuer dans de bonnes conditions, contrairement à tant de pronostics fâcheux. On ne peut compter pourtant que les prix des reports vont s’abaisser subitement ; ce serait déjà beaucoup, étant donnée l’extrême tension qu’on pouvait redouter, que l’argent ne se montrât pas plus exigeant qu’aux deux liquidations précédentes.

On avait de trop justes raisons d’appréhender pour la fin de ce mois un resserrement insolite de l’argent. En mars, les exportations d’or à destination de Londres et de l’Espagne étaient encore importantes ; le change sur Londres était coté très haut ; l’emprunt en 3 pour 100 amortissable allait absorber en un mois une somme de 400 millions de francs, dont moitié exigible de suite et moitié du 16 au 25 avril. On savait bien que la Banque de France et les établissemens de crédit mettaient tout en œuvre pour faciliter aux souscripteurs la libération de ces deux premiers termes, mais la Banque pouvait-elle même, sous la pression des circonstances, se voir contrainte d’ajouter encore aux embarras de la situation en élevant le taux de l’escompte officiel ?

Les choses ont mieux tourné qu’on ne l’espérait. Bien que la Banque ait offert aux souscripteurs d’effectuer pour eux le versement intégral des 200 millions exigibles depuis le 16 courant, l’importance de ce prêt n’a apporté aucune modification anormale dans les chiffres des deux derniers bilans. D’autre part, de nombreuses livraisons de titres internationaux, effectués au stock exchange pour compte français, ont eu pour résultat d’abaisser le change sur Londres au taux où il n’y a plus profit a expédier de l’or de Paris au-delà du détroit. Le drainage de l’or s’est