Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élémens, concetti alambiqués des vieux sonnets amoureux, subtilités ingénieuses du marivaudage, fleurs desséchées des vieux bouquets à Chloris, pauvres élémens en vérité, mais le poète les a trempés dans la fontaine de Jouvence de la nature, et toutes ces mièvreries fanées, surannées ou artificielles, se sont épanouies en fleurs vivantes et embaumées : lys superbes, symboles de fierté virginale, narcisses à l’attendrissante mélancolie, œillets, emblèmes de désir, tubéreuses au parfum foudroyant. Rappelez-vous seulement l’adorable conversation de Silvio et de Ninon :

Votre taille flexible est comme un palmier vert,
Vos cheveux sont légers comme la cendre fine,
Qui voltige au soleil autour d’un feu d’hiver,
Ils frémissent au vent comme la balsamine ;
Sur votre front d’ivoire ils courent en glissant
Comme une huile craintive au bord d’un lac d’argent.
Vos yeux sont transparens comme l’ambre fluide
Au bord du Niémen ; — leur regard est limpide
Comme une goutte d’eau sur la grenade en fleurs…
Le son de votre voix est comme un bon génie
Qui porte dans ses mains un vase plein de miel.
Toute votre nature est comme une harmonie…


Sentez-vous la métamorphose et comme ces comparaisons et métaphores baignent dans la nature, où elles puisent vie, lumière, fraîcheur et parfum ?

Le croirait-on ? le Spectacle dans un fauteuil, qui contient quelques-unes des plus durables beautés de la poésie contemporaine, n’eut pas à l’origine le retentissement des Contes d’Espagne. Cependant il y avait quelqu’un qui avait lu ce livre avec admiration, quelqu’un qui, pour avoir une opinion, n’attendait pas que le voisin la lui apportât, c’était le fondateur et le directeur de cette Revue. Alfred de Musset répondit avec empressement à l’invitation qui lui fut adressée d’écrire dans ce recueil, et le 1er avril 1833 il y fit son entrée par le petit drame d’André del Sarto. A partir de ce moment, la Revue et de Musset se restèrent inaltérablement fidèles. En dehors de Lorenzaccio et de la Confession d’un enfant du siècle, pour lesquels la publication immédiate en volumes parut préférable, il n’y a que bien peu de chose dans l’œuvre de Musset qui n’ait pas paru ici même ; encore est-il vrai que, dans ce peu, je ne remarque guère que le petit drame de Carmosine dont on puisse regretter la perte pour la Revue. Quelques-uns s’étonneront peut-être de cette fidélité chez un poète qui, plus qu’aucun autre de son temps, eut toutes les dispositions rétives et toutes les nervosités du tempérament propre à sa race privilégiée. C’est qu’il n’y a pas