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SOUVENIRS LITTÉRAIRES



DEUXIÈME PARTIE[1].


III. — LE COLLÈGE.

L’entrée au collège fut pour Louis de Cormenin et pour moi une déception cruelle. Nous avions toujours pensé que l’on ne nous séparerait pas et que nous ferions nos humanités, côte à côte, dans la même maison d’enseignement. Il n’en fut rien, et je crois que nos familles ont sagement fait de nous isoler l’un de l’autre, à cet âge d’entraînement et de turbulence où l’exemple est pernicieux et l’imitation naturelle. Louis fut placé au collège Rollin, qui était alors dirigé par Defauconpret, le traducteur de Walter Scott ; je fus moins bien partagé, et l’on me mit au collège Louis-le-Grand. Je n’ai pas oublié cette journée du 21 octobre 1831, pendant laquelle je commençai le dur apprentissage des écoliers ; cinquante ans écoulés n’ont point affaibli l’impression d’amertume et de révolte dont je fus saisi. Le matin, un de mes oncles était venu déjeuner avec nous ; lorsque le repas fut terminé, il me plaça devant lui et tout en ricanant, il me chanta le Non più andrai des Nozze di Figaro ; je ne compris guère ; plus tard je sus à quoi m’en tenir : « Tu vas mener un train de vie bien différent, mon enfant ! » J’avais le cœur gros, mais je me raidissais et je refoulais mes larmes. Ma mère et ma

  1. Voyez la Revue du 1er  juin.