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académies de province n’étaient pas alors aussi platoniques que celles de nos jours. Celle de Marseille notamment se plaisait à agiter toutes les questions qui passionnaient le pays ; elle fit, en 1778, appel aux lumières de tous et mit résolument au concours une étude sur les moyens les plus propres à vaincre les obstacles que le Rhône oppose au cabotage entre Arles et Marseille. Le premier consul d’Arles, Noble Lalauzière, proposa dans un mémoire très remarquable de barrer tous les bras secondaires et développa avec beaucoup de force la théorie de l’endiguement. Il remporta le prix. Quelques années après, en 1784, une commission nommée par la ville d’Arles se transportait sur le Rhône, accompagnée de M. Marmillot, ingénieur en chef de la province du Dauphiné et concluait à l’adoption du projet de Lalauzière. Six ans plus tard, Remillat, ingénieur en chef du Languedoc, était envoyé sur les lieux par l’administration des ponts et chaussées, et, sauf quelques légères modifications, se rangeait au même avis. Son mémoire fut même imprimé par ordre de l’assemblée nationale ; et, le 1er juin 1791, un décret approuvait définitivement les projets d’endiguement, ouvrait un crédit de 25,000 francs et ordonnait de mettre immédiatement la main à l’œuvre. Mais la tourmente révolutionnaire détourna pendant quelques années l’attention de tous les travaux d’utilité publique, et ce ne fut que dix ans plus tard que la question put être reprise.

On était en 1802. L’idée de creuser un canal latéral au Rhône, qui partirait du golfe de Fos et rejoindrait le fleuve soit à Arles, soit au-dessous, n’avait pas été abandonnée par tous. La création tout d’une pièce d’un nouveau bras du fleuve avait quelque chose de plus séduisant et de plus grandiose que de simples travaux d’amélioration sur place. Les discussions recommencèrent et le débat fut soumis à l’empereur Napoléon Ier, qui apportait dans toutes les affaires le poids de sa toute-puissante volonté. Les partisans des grands projets de canalisation latérale ne manquèrent pas de lui dire que le maréchal de Belle-Isle, dont l’armée avait souffert, comme celle de Marins, par suite de la difficulté de faire venir régulièrement ses approvisionnemens par le fleuve, avait envoyé l’illustre Bélidor pour étudier lui-même la question des embouchures, et que cet ingénieur, dont le nom faisait autorité, avait déclaré que la solution la plus rationnelle était celle de Vauban, c’est-à-dire l’ouverture d’un canal direct d’Arles à Port-de-Bouc ; que, deux années après le mémoire de Bélidor, l’inspecteur-général des ponts et chaussées Pollard avait adopté cette opinion ; que l’Académie des sciences elle-même lui donnait son adhésion. N’était-ce pas d’ailleurs à des entreprises de cette nature que les plus grands