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ruines imposantes qui n’étaient pas des pyramides ou des hypogées. Pour les auteurs de la grande Description de l’Égypte, Karnak et Louqsor, Médinet-Abou et Gournah sont des palais ; des dénominations comme celle de palais de Ménephtah, appliquées au temple de Seti, à Gournah, se sont transmises de proche en proche et se rencontrent encore dans les livres tout récens, comme l’Histoire de l’architecture, de Fergusson,[1].

Depuis les travaux et le voyage de Champollion, une étude plus attentive des ruines et surtout la lecture des inscriptions hiéroglyphiques ont dissipé cette erreur ; on est d’accord aujourd’hui sur la destination primitive des grands édifices thébains de l’une et de l’autre rive ; on n’en conteste plus le caractère religieux. Tout en admettant cette vérité, certains archéologues n’ont pas encore réussi à s’affranchir tout à fait de l’idée qui a si longtemps été dominante ; ils en gardent quelque chose et soutiennent une opinion moyenne, d’après laquelle l’habitation royale aurait été une dépendance du temple ; ils la cherchent, à Karnak comme à Louqsor, dans les pièces, assez mal conservées, qui se trouvent en arrière du sanctuaire. C’est là, dans ces chambres dont plusieurs étaient soutenues par des colonnes et richement décorées, que le roi aurait eu sa demeure et « sa vie se serait passée dans les cours et les salles hypostyles[2]. »

Parmi tous les documens qui ont été recueillis dans ces parties de l’édifice, il n’en est pas un qui confirme cette hypothèse ; ni dans le reste de la littérature égyptienne, ni même chez les historiens grecs, on ne saurait trouver un texte qui prouve ou qui même tende à faire croire que les rois aient jamais vécu dans le temple ou dans ses dépendances, qu’ils aient habité l’intérieur de l’enceinte sacrée.

Voici d’ailleurs qui est peut-être plus concluant encore que le silence même des textes. Rappelez-vous ce qu’était le temple égyptien avant que le temps en eût émietté les enceintes, troué les murs et défoncé les plafonds. Arrivez, par un effort d’esprit, à vous le représenter dans son état ancien, et vous comprendrez que les rois n’ont jamais dû songer à choisir, comme leur résidence favorite, ces lieux fermés et sombres. Aussi bien que leurs sujets, les princes égyptiens devaient être, pour la plupart d’humeur sereine et gaie ; qu’il s’agisse des grands du royaume ou des humbles et des petits, pas d’expression qui se répète plus souvent dans les textes égyptiens que celle-ci : faire un jour de bonheur. Le palais

  1. A History of architecture in all countries, from the earliest times to the present day, 4 vol. in-8o, 1874. Fergusson (t. Ier, p. 118) propose pour Karnak le terme de temple-palais ou de palais-temple.
  2. Du Barry de Merval, Études sur l’architecture égyptienne (1875), p. 271.