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tude, autrefois presque universelle, de jouer à la paume, s’étant insensiblement perdue, quiconque aurait usé, quiconque aujourd’hui voudrait se servir de l’une de ces métaphores, il faudrait qu’il commençât par l’expliquer, et conséquemment qu’il en sacrifiât tout l’effet utile. Car, ordinairement, et à moins que d’habiter les hauteurs du Parnasse Contemporain, on écrit pour être compris, et l’on n’emploie guère la métaphore que pour abréger le travail au lecteur. Maintenant d’autres jeux ont remplacé la paume. On en a tiré, comme d’usage, d’autres métaphores. L’esprit humain saisit avidement toute occasion qui s’offre à lui de simplifier le labeur, toujours pénible, de la réflexion. L’Académie française a consacré quelques-unes de ces locutions. On parle académiquement quand on emprunte, au jeu de trictrac, l’expression de faire une école, et, au jeu de billard, l’expression de se blouser, qui signifient l’une et l’autre à peu près une même chose. Cependant, la première est déjà si vieille, que tout éditeur de textes se croirait obligé, la rencontrant, d’y appendre en passant une courte note. Et pour la seconde, j’imagine qu’elle sera prochainement marquée d’archaïsme, l’Académie n’ayant pas songé qu’un jour viendrait où les billards n’ayant plus de blouses, l’expression perdrait le meilleur de sa substance en se vidant de ce qu’elle enfermait de concret. Aujourd’hui, ce sont les métaphores tirées du whist et du baccara qui sont plus particulièrement en faveur. Quand elles auront fait leur temps, le jargon de l’avenir en tirera d’autres, soyons-en sûrs, du noble jeu de bonneteau. Je prie le lecteur de retenir un point. Les métaphores tirées du jeu sont d’autant moins nobles ou d’autant plus grossières que dans le jeu qui les suggère, la part du calcul mental ou de l’adresse corporelle est plus petite et réciproquement plus grande la part de la fortune et de la veine.

En attendant, nous venons d’indiquer l’une des raisons pourquoi toute langue littéraire aimera mieux périr que de se laisser pénétrer par l’argot. C’est que toute espèce d’argot, depuis l’élégant jargon, — car c’en est un, — des raffinés et des précieuses de tous les temps, en passant par la langue spéciale des chasseurs ou des joueurs et par l’algébrisme technique des savans ou des industriels, pour descendre jusqu’à l’ignoble argot des voleurs et des filles, est un langage d’initiés. Les sportsmen, sous ce rapport, peuvent rivaliser avec les bookmakers, et la gomme le dispute, carrément, comme elle dit, à la pègre. En effet, si tout le monde ne se sert pas de la langue de tout le monde, croirons-nous que ce soit uniquement fantaisie d’imagination ? Non, sans doute. Mais les uns, comme les voleurs, ont besoin d’un langage qui protège contre les curieux le secret de leurs combinaisons, et les autres, comme les filles, d’un jargon qui leur dissimule à elles-mêmes l’ignominie de leur métier. Franchissons un abîme. Entrons dans l’atelier ou dans