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1er décembre.

Départ à dix heures en chemin de fer, au milieu d’une foule de drogmans, de faquins, de curieux, d’inutiles. Pendant une heure, nous traversons des lagunes, des champs très pauvres : on y laboure avec de grands bœufs gris, à bosse, séparés par un joug fort long. Quelques villages, mais quels villages ! de petits cubes en terre grise, où un trou sert de porte. Tout cela grouillant de monde, d’enfans vêtus de la robe flottante aux couleurs violentes, de femmes en bleu, accroupies ou marchant avec de belles poses antiques, une cruche sur la tête. Peu à peu, la terre devient plus fertile ; le lac Mareotis, les marais ont disparu, les villages se succèdent. Beaucoup de troupeaux d’une laide couleur indécise, des chèvres, des champs de coton, peuplés de fellahs, qui font la récolte. Le train traverse une première branche du Nil et suit constamment la rive d’un canal, bordé de l’autre côté par la grande route, de sorte que, toute la journée, nous voyons la file, presque continue, qui y chemine. Ce ne sont d’abord que des voyageurs à âne, des enfans, des laboureurs. Puis, ô bonheur ! un chameau, puis un autre ; au bout de cinq minutes, nous ne les comptons plus, tant ils se succèdent, chargés de balles de coton qu’ils portent à la station de Dandourâh. Nous sommes à deux heures d’Alexandrie : aux gares, la foule la plus bariolée, la plus variée. Les fellahines aux longs voiles, le menton et les lèvres teintés d’indigo, viennent nous offrir des gargoulettes d’eau ou des mandarines. Il y a des fillettes d’une dizaine d’années ravissantes sous leur costume sévère. La route, de l’autre côté de la rive, est toujours couverte de monde. C’est la procession la plus pittoresque que l’on puisse voir. De gros Orientaux sur ces petits ânes vifs et alertes, qu’ils fouettent du bout d’une canne à sucre ; des groupes d’hommes de toutes couleurs ; des chameaux de toutes tailles, chargés de coton, de cannes, de fagots, balançant lentement leur énorme fardeau ; d’autres, déchargés, mais n’en marchant pas moins avec la même lenteur ; quelques-uns, tout jeunes, folâtrent en avant ou suivent leurs mères ; d’autres encore attendent à genoux auprès d’un champ de coton où l’on est en train de nouer les balles.

Après la deuxième branche du Nil, nous apercevons une ligne d’horizon rose et azur : c’est le désert ; puis la silhouette bleu foncé des Pyramides à notre droite se montre intermittente entre les palmiers ; et, enfin, le Caire. Ici, nouvelle bagarre indescriptible ; batailles, coups, hurlemens. Mais on s’y habitue et, très tranquillement, nous gagnons l’hôtel Shepheard. Mon salon donne à l’ouest, sur un immense jardin de palmiers qui s’étend à perte de vue et