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sinuosités, mais il ne pénètre pas dans les intérieurs où se manipulent les matériaux de la vie. C’est l’expérimentation physiologique qui seule éclaire les mystères du jeu de l’organisme[1].

M. Littré a commencé ses études médicales au moment où Bichat et Broussais venaient de démontrer que la pathologie n’est autre chose que la physiologie dérangée. C’est certainement à cette idée dominante vers 1830 que M. Littré dut d’avoir découvert cette belle loi de l’histoire de la médecine : les Erreurs de la pathologie sont solidaires des erreurs de la physiologie. Tant que la vraie physiologie n’exista pas, la pathologie n’a valu quelque chose que lorsqu’elle secouait le joug de la mauvaise physiologie traditionnelle, comme l’a fait Hippocrate dans ses Épidémies, en se livrant à l’observation pure et simple des faits. Toutes les fois, au contraire, où les anciens ont fondé leurs systèmes sur des conceptions physiologiques erronées ou incomplètes, ils ont fait de la mauvaise médecine. M. Littré nous permet de toucher du doigt ce grand principe historique, en faisant défiler devant nous les diverses théories sur la nature même de la maladie qui ont tour à tour éclairé ou plutôt obscurci la médecine.

Les anciens, eux, pensaient bien qu’ils devaient chercher leurs élémens de discussion dans les propriétés des corps inorganiques, mais, comme ils ne les connaissaient pas, ils inventaient une physique et une chimie de fantaisie, instrumens défectueux et impuissans au service d’une idée juste. Ces essais prématurés produisirent une doctrine étrange, où la maladie est regardée comme un mauvais mélange de quatre humeurs : le sang, la bile, l’atrabile et la pituite. Cette théorie chimique, c’est l’humorisme ancien. Quelques siècles plus tard, les méthodistes, représentés par Soranus et Alexandre de Tralles, déclarèrent que la santé consistait dans la laxité et le resserrement des parties, et que la maladie survenait quand ces qualités étaient troublées. Cette théorie physique est le solidisme ancien. Avec Paracelse, avec Van Helmont, apparaît un nouvel élément, l’archée, sorte d’esprit qui est la cause de tout le mal. Cette théorie psychologique, c’est l’animisme. Voilà les trois théories qui, isolées ou mélangées entre elles, ont régi les systèmes médicaux jusqu’à nos jours ; partout on retrouve la chimie, la physique ou les esprits. M. Littré nous montre qu’au siècle dernier, le célèbre médecin d’Edimbourg, Brown, ne fît guère que renouveler les méthodistes du commencement de notre ère. Pour lui la santé consiste dans une propriété générale de l’organisme, l’incitabilité. Si cette incitabilité est trop forte ou trop faible, la maladie survient. Quelle

  1. Voyez Littré, Journal des savans, 1855, et la Revue du 1er janvier 1855 : de la Science de la vie dans ses rapports avec la chimie