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an[1]. Nous n’avons plus à en faire connaître l’économie. Rappelons seulement les principes généraux sur lesquels elle repose. En premier lieu, elle reconnaît au fermier, sous certaines restrictions le droit d’aliéner son intérêt dans la terre ; par conséquent, le démembrement de la propriété est encore plus net, plus accusé que dans la loi de 1870. En second lieu, elle autorise le fermier à faire fixer le fermage par une commission spéciale : ici ce n’est pas seulement le droit de propriété qui reçoit une atteinte, c’est aussi la liberté des contrats. En troisième lieu, le fermage, une fois fixé, est immuable pendant quinze ans. A l’expiration de ce délai, la commission peut, sur la demande des intéressés, procéder à une nouvelle fixation du fermage. Le fermier est donc tranquille pendant quinze ans, et le propriétaire le serait de son côté, si le fermage était payé.

Gladstone montra, comme toujours, beaucoup d’ingéniosité dans les détails de cette loi compliquée ; quant aux principes qui lui servent de base, il n’en est pas l’inventeur : il a tout simplement emprunté le programme des trois F. La paisible jouissance de la ferme pendant quinze ans, c’est la fixity of tenure ; le droit de faire régler le fermage par une commission, c’est la fair rent ; le droit pour le fermier d’aliéner son intérêt dans la terre, c’est le free sale. Or le système des trois F est parfaitement absurde, s’il n’est pas un acheminement vers la dépossession complète des propriétaires. C’est bien ainsi d’ailleurs que les Irlandais le comprennent, et c’est avec cette arrière-pensée qu’il a été combiné, adopté, défendu par les chefs de l’agitation agraire. M. Gladstone, au contraire, paraît croire que le système des trois F se suffit à lui-même, qu’il constitue un règlement définitif de la question. Avec tout le respect que l’on doit à une grande intelligence et à un énorme talent, il est permis de dire que c’est là une illusion absolue. On ne peut pas maintenir cette copropriété, cette espèce d’indivision entre les propriétaires et les fermiers, surtout entre des propriétaires et des fermiers qui s’exècrent. Il faut tout l’un ou tout l’autre ; il faut que la terre soit tout à fait au landlord ou tout à fait au paysan. Dans la seconde partie de sa loi, M. Gladstone touche, suivant nous, à la vraie solution quand il donne aux paysans des facilités pour devenir acquéreurs et propriétaires des terres qu’ils cultivent. Déjà quelque chose d’analogue avait été tenté à partir de 1869, après l’établissement de la loi qui enlevait à l’église épiscopale d’Irlande sa situation officielle. Les biens ecclésiastiques avaient été mis en vente par les. soins d’une commission spéciale. Le quart du prix de vente était

  1. Voyez dans la Revue du 1er juillet 1881, l’article de M. A. Leroy-Beaulieu.