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La raison n’en est pas difficile à dire. C’est que de tout temps la royauté chez nous s’est moins préoccupée de faire la France heureuse, au sens un peu grossier peut-être où nous entendons aujourd’hui le mot, que de la faire glorieuse. Toute la machine du gouvernement était montée, pour ainsi dire, en vue de l’action au dehors. Le plus pur des forces nationales se dépensait dans la guerre et dans la politique. Et si le reste allait mal, plus souvent mal que bien, moins mal pourtant qu’on ne le prétend, il y avait cette compensation, et qui valait bien son prix, que la France, même au lendemain d’Utrecht et même au lendemain du traité de Paris, tenait dans le monde un rang que depuis lors elle n’a reconquis un moment que pour le perdre aussitôt. On reconnaîtra sans doute quelque jour qu’un peu de gloire n’est pas le dernier des besoins d’un grand peuple, ou même qu’il en est le premier, quand ce peuple est entouré, comme nous, de voisins attentifs à ses moindres défaillances. C’est parce que nous avons conscience de ce besoin que la grande histoire sera toujours chez nous de la guerre et de la diplomatie. N’est-il pas vrai d’ailleurs que si nous sommes de tout temps ainsi faits, c’est précisément que la guerre et la diplomatie nous ont faits ce que nous sommes ?

Il y a bien parmi nous aujourd’hui jusqu’à trois ou quatre écrivains qui sont capables de la grande histoire, mais aucun qui, depuis longtemps, nous eût rien donné de comparable à ces belles Études diplomatiques[1] dont le souvenir est tout présent encore aux lecteurs de la Revue. Il s’accumulait lentement en Allemagne, sur l’histoire politique du XVIIIe siècle, des documens et des livres où notre propre histoire n’était guère moins intéressée que l’histoire même de la monarchie prussienne ou de l’empire germanique. C’était, d’un côté, cette grande Histoire de la politique prussienne, de M. G. Droysen, encore inachevée, mais qui pourtant atteignait déjà le milieu du siècle (1748), et c’était aussi cette Correspondance politique de Frédéric le Grand que nous rappelions tout à l’heure. D’un autre côté, c’était cette monumentale Histoire de Marie-Thérèse, de M. d’Arneth, et sans parler des notes si précieuses dont le texte de chacun de ces dix volumes est laborieusement étayé, c’étaient les Lettres de Marie-Thérèse elle-même, publiées pour la première fois, d’après les archives de Vienne[2]. Ce que ces deux grands ouvrages et ce que ces deux

  1. Études diplomatiques. — La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse, par, M. le duc de Broglie. Voyez la Revue du 15 novembre et du 1er décembre 1881, du 1er  et du 15 janvier, du 1er février, du 1er  et du 15 mars 1882.
  2. Quoique, dans cette revue rapide, et nécessairement très incomplète, nous ne signalions que des ouvrages français, nous ne pouvons pourtant nous dispenser d’avertir le lecteur que quatre volumes sont venus tout récemment compléter l’ensemble des publications de M. d’Arneth : Briefe der Kaiserin Maria-Theresia an ihre Kinder und Freunde, 4 vol. in-8o ; Wien, 1881 ; Braumuller.