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Autant que j’en loue l’exactitude, je voudrais pouvoir louer l’élégance de la traduction de M. Rostand. Mais voilà le point faible ! Et de quelques qualités de versificateur habile, de poète même, par endroits, que le traducteur ait fait preuve, on peut douter qu’il ait atteint son but ; et qu’à rendre Catulle vers pour vers, il l’ait rendu comme il l’avait rêvé. Certainement on lui passera, sur la difficulté de la tâche, quelques rimes, les unes peu régulières, et les autres bien usées ; des « renversemens de tournures, » comme on parle dans la moderne école, plus forcés qu’il ne faudrait ; ces phrases mêmes heurtées, saccadées, anguleuses, où l’obligation de fouiller avec l’alexandrin tous les détours et recoins d’un texte savamment compliqué l’a plus d’une fois et trop souvent réduit. Mais ce que je lui reprocherai, c’est de ne pas avoir senti que traduire ainsi Catulle vers pour vers, c’était précisément le dépouiller de ce qu’il en voulait surtout reproduire : l’accent, le rythme, le mouvement. Ou mieux encore, et généralisant la question, on rendra volontiers témoignage de la générosité de la tentative, mais ce qu’on en reprendra, c’en est le principe même et l’idée que les vers conviennent mieux que la prose à la traduction des poètes.

« La question, si débattue, de ce qui convient le mieux, prose ou vers, à la traduction des poètes, n’en est pas une, » nous dit M. Rostand, et il ajoute que « Voltaire l’a bien vu[1]. » Mais, en dépit de Voltaire, il y a là une question, et plus on va, plus on voit de raisons de contredire à l’opinion de M. Rostand.

Je me servirai d’une comparaison que je crois exacte. Se demander ce qui convient le mieux, prose ou vers, à la traduction des poètes, c’est se demander ce qui convient le mieux à la reproduction des peintres, gravure ou copie. La réponse n’est pas douteuse. On aura beau dire que le burin ne peut rendre que la ligne, le dessin, l’harmonie des compositions, et tout au plus les valeurs, tandis que le pinceau rend en plus ces couleurs qui, sans doute, sont bien un élément de la beauté d’un Titien ou d’un Rubens ; il n’est pas moins certain qu’entre une excellente copie et une très bonne gravure un amateur délicat n’a jamais hésité ni n’hésitera jamais. En effet, toute copie, et d’autant qu’elle est plus fidèle, a toujours, dans sa fidélité même, quelque chose de gêné, qui sent sa dépendance, une touche moins libre, un accent moins vif, une allure moins originale. Mais la gravure ne fait pas profession d’imiter, elle interprète, et suppléant par

  1. Je ferai cependant observer que, si c’est bien l’opinion de Voltaire, qui l’a même une fois exprimée, dans une lettre à son ami Formont, d’une façon tout à fait catullienne, il y a de fortes présomptions pour que l’opuscule auquel renvoie M. Rostand ne soit pas de Voltaire.