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l’antiquité, jamais réalisé, mais toujours vivant. Dans ce temps où les journaux n’existaient pas, la nouvelle fit aussitôt le tour de la France et chacun voulut répéter l’épreuve.

Il y avait alors, à Paris, un jeune professeur, déjà connu pour son imagination et son habileté, le physicien Charles ; il eut l’idée, neuve alors, et dont on a tant abusé depuis, de faire payer les frais du spectacle à ceux qui le viendraient voir. Il ouvrit une souscription publique et commença la construction de son ballon au mois d’août de la même année 1783. Il ne connaissait pas le gaz dont les frères Montgolfier s’étaient servis, mais il savait que le chimiste Priestley avait découvert, quelques années auparavant, l’air inflammable ou hydrogène, qui était cinq fois et demie moins lourd que l’air. Soit qu’il crût que c’était celui des frères Montgolfier, soit qu’il obéît à une inspiration personnelle, il décida que le ballon serait rempli d’air inflammable. C’était une heureuse idée que l’avenir a ratifiée et qui permettait de diminuer considérablement les dimensions du ballon. Celui de Charles, loin de mesurer 110 pieds de circonférence, n’en avait que 38, c’est-à-dire le tiers.

La souscription close, et elle le fut aussitôt qu’annoncée, Charles fît un ballon de soie, bien solide, bien cousu, assez mal verni, et se mit en devoir de le gonfler place des Victoires, dans l’atelier des frères Robert. Il rencontra dans cette opération des difficultés inattendues. Si l’hydrogène est le plus léger de tous les gaz, il est aussi celui qu’on peut le moins aisément tenir enfermé dans une enveloppe cirée, ce qui tient à une propriété tout à fait inconnue à cette époque et qu’on nomme exosmose. Le remplissage, commencé le 23, n’était pas fini le 25. Chaque journée se passait à introduire des torrens d’un gaz qui fuyait chaque nuit ; il fallait toujours recommencer. On y dépensa 500 kilogrammes de fer et 250 kilogrammes d’acide sulfurique. Enfin, le 25, comme il paraissait à moitié plein, on sortit le ballon ; on s’assura qu’il se soulevait, et on décida de le transporter de la place des Victoires au Champ-de-Mars, ce qui se fit à minuit. Il était étendu sur une charrette, précédé et suivi par les gens du guet à pied et à cheval, éclairé par des torches et escorté par la population, qui se découvrait sur le passage du cortège. La journée du 26 fut employée à terminer les préparatifs et, à cinq heures, au milieu d’une foule immense, au bruit du canon et par une pluie battante, l’aérostat fut abandonné à lui-même. Il monta rapidement, entra dans un nuage, ce qui fut salué par une clameur immense ; il en sortit bientôt pour aller plus haut et plus loin, et finalement se perdit dans l’espace.

Nous devons ce récit à Faujas de Saint-Fond, savant distingué, professeur au Muséum, dont l’admiration nous paraît quelque peu