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Je n'ai pas le dessein de suivre en détail l’histoire des nombreuses ascensions que tout le monde voulut exécuter, depuis les savans, comme Proust, Lalande, Guyton de Morveau, jusqu’à des princes, du sang, le duc de Chartres et le comte d’Artois ; on allait jusqu’à conquérir et défendre ses places le pistolet au poing, sans se préoccuper des dangers qui coûtèrent la vie à un grand nombre de personnes. On se souvient encore à Paris de Mme Blanchard, qui fut précipitée sur un toit de la rue de Provence un soir de fête publique. Son mari, qui avait la prétention de diriger les ballons par des rames de son invention, faillit avoir un sort pareil en traversant le pas de Calais, vis-à-vis de Boulogne. Déjà sa nacelle baignait dans la mer lorsqu’un vent local vint heureusement relever le ballon et le conduire à terre. Green, venant aussi d’Angleterre sans courir d’aussi grands dangers, fit un voyage plus long, mais non plus agréable. Il s’était engagé pendant la nuit au-dessus du détroit, il reconnut les feux de Douvres et de Calais et, sans oser descendre, s’était livré au vent. À minuit, il était à Liège, dont il vit les lumières et les hauts fourneaux. La nuit était si sombre qu’il lui semblait marcher entre des tables de marbre noir. Quand le jour parut, il vit une campagne couverte de neiges et se crut en Pologne ; il n’était heureusement qu’en Hanovre.

Pendant que ces expériences se multipliaient, il se fit une invention dont je dois dire un mot, celle du parachute. L’antiquité paraît l’avoir connu. Au temps d’Alexis Comnène, un Sarrasin, dont la robe fort longue était soutenue par des cerceaux d’osier, s’élança obliquement du haut d’une tour. Au XVe siècle, Léonard de Vinci, qui fut aussi bon mécanicien que grand artiste, inventa un appareil qu’il dessina et décrivit comme il suit, dans les manuscrits que garde la bibliothèque de l’Institut. « Si un homme a un pavillon (tente) de toile empesée dont chaque face ait 12 brasses et qui soit haut de 12 brasses, il pourrait se jeter de quelque hauteur que ce soit sans crainte de danger. » Malgré celle assurance, Léonard n’en fit point l’épreuve, et c’est l’aéronaute Garnerin qui perfectionna l’appareil et osa le premier se fier au parachute.

« Le 1er brumaire, à 6 heures, suivant l’astronome Lalande, le citoyen Garnerin s’éleva à ballon perdu dans la plaine de Monceaux. Lorsqu’il eut dépassé la hauteur de 350 toises, il coupa la corde qui joignait le parachute et son char avec l’aérostat ; ce dernier fit explosion, et le parachute, dans lequel le citoyen Garnerin était placé, descendit très rapidement ; il fit un mouvement d’oscillation si effrayant qu’un cri d’épouvante échappa aux spectateurs, et les femmes sensibles se trouvèrent mal. Cependant le citoyen Garnerin descendit tranquillement ; il monta à cheval aussitôt, revint au parc recevoir